Après Des nouvelles de la planète mars et Seules les bêtes, Dominik Moll revient avec un drame social frôlant le documentaire d’immersion sous le prisme du polar. 

L’enquête mise en scène est inspirée de faits réels et racontée par la journaliste Pauline Guena dans son ouvrage 18.3 : une année à la P.J. Nous retrouvons ici, quelque chose de Florence Aubenas dans la justesse de l’approche du réel, un réel traversé par les injustices et les violences sociétales qui constituent nos identités de genres. 

Au-delà de ce que pourrait laisser présager la bande-annonce, et même si le film s’ouvre sur l’assassinat de Clara (Lula Cotton-Frapier), aspergée d’essence et brûlée vive par un homme encagoulé, nous ne sommes pas face à un thriller ou un polar en tant que tel. Le nœud dramatique n’est pas là, il va beaucoup plus loin politiquement en nous annonçant d’emblée que l’affaire ne sera pas résolue. Le choix du réalisateur piège les adeptes du genre dans la réalité. En effet, 20% des crimes sur lesquels enquête la Police Judiciaire (PJ) restent non résolus, désolé pour les lecteurs d’Agatha Christie. Par l’intertitre nous livrant cette information, Dominik Moll se rapproche du réel, loin du fantasme de la police ou de l’esthétisation du flic viril. 

Nous rencontrons une bande d’hommes banales bien souvent dépassés par leurs émotions et enclins aux problèmes de la vie. Burn-out, problèmes familiaux, divorce, solitude, addiction et anxiolytiques : un angle d’attaque qu’on pourrait qualifier de simpliste ou de caricatural pour décrire la masculinité. Ces personnalités apparaissent pourtant encore aujourd’hui comme une réalité répandue. Ce sont nos pères, nos frères, nos conjoints. Tous auraient pu commettre le crime. Le réalisateur pointe d’emblée un problème systémique : la masculinité est toxique, n’en déplaise aux défenseurs du « Not all men« . Bastien Bouillon, en flic désemparé et, comme l’indique l’affiche, complètement hanté, confirme son talent d’acteur.

L’intelligence du film réside dans la place centrale des personnages féminins. Certains diront qu’ils sont secondaires. Il est vrai qu’ils occupent moins de temps à l’écran, mais ils semblent néanmoins avoir été pensés comme essentiels dans l’écriture. Ce sont les femmes du film qui font avancer chaque étape de la diégèse, c’est elles qui font avancer les cheminements de pensées des personnages masculins, pris au piège des ressorts virilistes de nos sociétés patriarcales. Elles acceptent d’affronter et de vivre pleinement leurs émotions, tandis que les hommes se cachent dans des pratiques intensives (les interminables tours de piste en vélo) ou encore dans des excès de violences pulsionnelles. Elles font avancer l’expérience du spectateur, et on leur doit les phrases clés du film : « Elle n’a pas commis de crime. Elle s’est fait tuer parce que c’était une fille », affirme en larmes Nina (Pauline Serieys), la meilleure amie de Clara. On garde également en tête la scène de la couverture de police, dans la voiture, où Nadia, la nouvelle flic de la brigade, interprétée par Mouna Soualem, pose la question dans un clair obscur : « Vous trouvez pas ça bizarre vous que ce soit majoritairement les hommes qui commettent les crimes, et majoritairement les hommes qui sont censés les résoudre ?« . Une mention spéciale pour les différentes scènes avec Anouk Grinberg, parfaite dans son rôle de juge, déterminée à relancer l’enquête et trouver le coupable.

La force du film réside donc dans son refus du manichéisme, rien n’est tout blanc ou tout noir. Chaque personnage est en constante évolution.

Bouli Lanners excelle quand, dans un trop plein d’émotions et de bouleversements affectifs, il parvient à verbaliser maladroitement ses émotions à son collègue. Ce même collègue qui finalement deviendra son ami, unis par la beauté du monde ou par la poésie d’une gentiane, plutôt que par la brutalité des hommes qu’ils rencontrent au quotidien et qui les met face à leur propre lien à la violence. 

Avec La Nuit du 12, Dominik Moll transforme donc l’essai grâce à une écriture intelligente, une mise en scène immersive et un casting percutant. Incontestablement un des films français les plus pertinents de ces derniers mois.