Présenté au Festival Premiers Plans d’Angers, Overseas, le nouveau documentaire de Sung-A Yoon, retrace le quotidien de Philippines en formation pour devenir aides ménagères internationales.

Avec des cadrages très composés, la réalisatrice nous fait entrer dans cette « maison de poupées » où tout est fait pour retenir les femmes dans le rôle de ménagère. Dans cette école où l’on forme les femmes de tout âge à devenir des domestiques modèles, aucune place n’est laissée à l’improvisation. Lorsqu’elles apprennent à dresser la table, l’écartement entre l’assiette et la fourchette est millimétré pour ne pas froisser celle qui deviendra leur « Madame » .

On pourrait reprocher au film sa lenteur mais il n’en est rien, l’étirement de certains plans force le respect et nous laisse à nous, spectateur, le temps de la réflexion. Lorsque dans l’encadrement de la porte nous apercevons une jeune femme astiquer le sol en pleurant dans un long plan-séquence fixe, se met en place un processus d’identification, nous partageons sa peine.

La beauté du film est de ne pas faire de ces femmes de simples victimes d’une société pauvre dans laquelle le seul espoir est de sacrifier sa vie pour soigner les autres. Il met en avant la force qui les unit, une réelle sororité s’instaure, des sourires, des regards. Lorsque l’une perd pied elle est soutenue par les autres. Chacune raconte sa petite histoire pour rassurer ou mettre en garde ses collègues sur les différentes facettes du métier qui les attend. Elles évoquent autant le renoncement et sa brutalité que les rêves auxquelles elles aspirent.

La dernière partie du film illustre la cruauté du sacrifice que font ces femmes, celui de tout quitter. Elles laissent derrières elles maris, enfants, famille et amis. Elles abandonnent aussi leur culture, leur langue afin de partir vers un ailleurs pour une durée indéterminée, dans l’espoir d’améliorer les conditions de vies de leurs proches. Elles subissent un arrachement affectif terrible en prenant le risque de l’exil. De magnifiques gros plans sur les visages dans la pénombre du bus les emmenant vers l’aéroport marquent l’inquiétude qu’implique le saut dans l’inconnu.

Le risque de harcèlement et des conditions difficiles que nous pourrions qualifier d’esclavage moderne est abordé tout au long du film. À travers des scènettes qu’elles réalisent dans l’école, les Philippines se préparent au pire. Comment se débattre en cas de tentative de viol par l’employeur ? Vers qui se tourner lorsque nuit et jour nous vivons chez notre bourreau ? Le récit de certaines est parfois insoutenable, lorsque l’oppression va jusqu’à la privation de nourriture, de sommeil et d’intimité.

Pourtant ces femmes prennent le risque de partir, font preuve de courage dans l’espoir d’obtenir grâce à leur années à l’étranger, un avenir meilleur dès leur retour aux Philippines. L’une voudrait ouvrir un restaurant avec l’argent qu’elle aura gagné, une autre travaille pour que ses enfants puissent étudier.
Et pourtant, à leur retour, l’argent a parfois déjà été dépensé par la famille, tout le travail a été perdu. C’est ce dont témoigne l’une d’elles à son amie, les larmes aux yeux.

La pluie et les inondations philippines ponctuent le documentaire. On y voit ces femmes s’évertuer à sans cesse éponger cette eau, comme une métaphore des larmes qu’elles sèchent. Il n’y a pas le choix, partir 2 ans ou plus travailler à l’étranger, c’est sauver sa famille pour pouvoir prétendre à un statut.

Sung-A Yoon, dans Overseas, mêle fiction, documentaire, et film d’art. Elle parvient à traiter de manière sublime un exemple de l’esclavage moderne. La puissance du film repose sans nul doute dans la détermination de ces femmes et la manière dont la réalisatrice les magnifie, non sans renoncer aux artifices du cinéma mais avec la sincérité et l’humilité du documentaire.