Alors que le premier tome Harry Potter à l’école des sorciers a fêté ses 20 ans en 2017, le phénomène littéraire et cinématographique connu et reconnu mondialement continue de fasciner. Nouvelles, court-métrages, fan-fictions… l’univers créé par J.K. Rowling est une source d’inspirations sans fin pour ses fans. Cependant, à une échelle universitaire, les recherches autour de l’oeuvre sont très rares et ne concernent que la littérature jeunesse. N’en déplaise à Justine Malpeli, étudiante en Master 2 à Lille qui a choisi de travailler autour de la dimension mythique de Harry Potter. Le 8 février 2018 se tenait une conférence autour de sa thématique de recherche : dans quelle mesure pouvons-nous dire que Harry Potter est un héros antique ? Explications.

UN PROJET ORIGINAL

Tout commence grâce à un événement Facebook qui présente une conférence intitulée “Harry Potter : héros antique ?”, organisée à l’Espace Culture de l’Université de Lille (campus Cité Scientifique). Cette rencontre s’inscrivait dans le séminaire Sciences, croyances et éruditions. Le but ? Ouvrir le débat sur des thématiques souvent considérées comme désuètes par une majorité. L’effet a été d’autant plus grand pour cette conférence puisqu’elle touchait à une oeuvre connue de tou.te.s.

Justine Malpeli, étudiante en Master 2 Mondes Anciens, parcours Histoire, archéologie, littérature et anthropologie des mondes anciens a expliqué aux nombreux curieux et curieuses ayant fait le déplacement en quoi consistait son mémoire. Après une licence HSI (Humanités et Sciences de l’Information) grâce à laquelle elle a pu étudier comment les artistes peuvent se réapproprier les mythes, elle s’est dirigée vers un master de recherche. A l’âge de 7 ans, Justine découvre l’univers des sorciers grâce au premier tome qui lui permet pour la première fois de vivre avec un personnage et d’être émue aux larmes à cause d’un livre. D’une motivation sans faille, Justine a réussi à imposer son idée originale de travailler sur cette oeuvre. Même si son idée d’exploiter le monde de Harry Potter a d’abord surpris sa directrice de mémoire Marie-Odile Bruhat, cette dernière s’est très vite rendue compte du potentiel de son étudiante et de la pertinence de son sujet. Par la suite, l’étudiante en master a aussi été très soutenue par son département, ainsi que sa directrice de master.

Marie-Odile Bruhat et Justine Malpeli lors de la conférence « Harry Potter : héros antique ? » organisée par l’Université de Lille.

La mythologie était à l’origine contée, qui par la parole puis les écrits a évolué à travers les âges. Les mythes racontent les parcours des dieux, des demi-dieux et des humains, très souvent confrontés à des situations difficiles comme la mort ou l’amour, et bien d’autres thématiques universelles. Pour Justine, J.K. Rowling emprunte dans son oeuvre beaucoup de références à la culture antique. Roman didactique, Harry Potter aborde des thèmes mais véhicule aussi des valeurs et des idéaux à travers ses personnages. Justine utilise aussi l’image du palimpseste, un parchemin dont on a gratté la première inscription pour en tracer une autre. Ici, la culture antique représenterait alors le parchemin d’origine recouvert par l’oeuvre de J.K. Rowling. Grâce à ses messages cachés aux sens nombreux, Harry Potter permettrait alors différents niveaux de lecture.

LA CULTURE ANTIQUE TRÈS PRÉSENTE

Si cette culture antique est très présente dans l’oeuvre, c’est aussi parce que J.K. Rowling a étudié les lettres classiques. Certaines références sont plus évidentes, comme le choix des prénoms inspirés du latin alors que d’autres sont plus subtiles. Par exemple, le sortilège Sectumsempra qui apparaît dans le tome 6 Harry Potter et le Prince de sang-Mêlé se traduit littéralement par “ayant été coupé continuellement”; traduction qui prend tout son sens quand on sait ce que le sort provoque sur Drago Malefoy. Les monstres, quant à eux, très présents dans l’univers sont aussi très intéressants à analyser. Par exemple, Touffu le chien à trois têtes fait référence à Cerbère le chien des Enfers. Dans le tome 1, il est le gardien d’une trappe qui donne accès aux souterrains, une référence aux Enfers qui se trouvent sous terre. Aussi, le professeur Quirrell qui porte Voldemort derrière sa tête peut être rapproché de Janus, dieu à deux têtes.

Comme l’explique Justine, J.K. Rowling recourt souvent au rite sacrificiel qui “sert à abolir la frontière entre les mondes des morts et des vivants”. Dans Harry Potter et le Prince de sang-mêlé, Dumbledore donne de son sang afin de rentrer dans la grotte où est certainement caché un horcruxe. Par le sacrifice, il devient le médiateur pour entrer dans le monde des morts. Plus tard, Harry et lui utilisent une barque pour atteindre l’îlot, qui n’est pas sans rappeler la barque de Charon, utilisée pour passer les âmes des morts ayant payé une sépulture.

Sans doute, le Basilic (dans Harry Potter et la Chambre des secrets) est le monstre mythique le plus marquant pour les lecteur.rice.s et les spectateur.rice.s. Présenté comme roi des serpents, ses yeux ont le pouvoir de tuer par un croisement de regard, et de pétrifier si le regard est reflété ou indirect. Mais le plus intéressant ici n’est pas seulement de repérer les monstres antiques, mais de comprendre comment J.K. Rowling se les ait appropriés. Pour Justine, le Basilic de l’auteure est une “étape supplémentaire dans toutes ses constructions à travers les époques”. Néanmoins, à titre personnel, la créature la plus fascinante selon elle est le phénix, pour son évolution au fil des siècles. Dans Harry Potter, le phénix est un oiseau qui, sentant sa fin proche, décide de mourir par le feu et de renaître de ses cendres. Or, l’histoire originelle de cet animal singulier était différente de celle donnée par J.K. Rowling. Symbole solaire repris par les Chrétiens, le phénix vivait en Arabie et préparait son tombeau lorsqu’il choisissait de mourir. Avant de s’éteindre, il donnait naissance à une larve qui devenait alors à son tour un phénix. Cet oiseau était aussi un fort symbole pour les Egyptiens qui l’utilisait pour représenter l’âme qui s’échappait du corps du défunt. Mais ce n’est qu’au Ier siècle de notre ère que l’idée de bûcher funéraire a été associée au phénix. C’est à ce moment que les Romains l’utilisèrent comme emblème. Mais aussi, il a été raconté que le phénix enseignait aux hommes les sciences et la sagesse. Justine Malpeli assure que le choix du phénix, symbole d’Albus Dumbledore, n’est en rien une coïncidence. En effet, dans le tome 7 Harry Potter et les Reliques de la Mort, on apprend comment Dumbledore a organisé sa propre mort, donc comment en quelque sorte il a choisi de mourir, à la manière du phénix. D’ailleurs, après sa mort, son phénix Fumseck vole autour du château pendant un long moment, comme pour rendre hommage à ce personnage. En demandant à Severus Rogue de le tuer, Dumbledore ne considère pas la mort comme une fatalité mais comme un choix.

Le phénix, illustré par Jim Kay pour Harry Potter et la Chambre des secrets ©

LE LIBRE-ARBITRE AU CENTRE DE L’OEUVRE

Le choix le plus important que Harry a à faire est sans doute celui de vivre ou de mourir. Dans le dernier tome, alors qu’il a été touché par le sortilège meurtrier Avada Kedavra de Voldemort, Harry se retrouve dans un espace blanc, immaculé, qui lui rappelle la gare King’s Cross “en plus propre”. Ici, il retrouve la figure paternelle de Dumbledore qui lui explique qu’il peut choisir entre rester ici ou retourner dans le monde des vivants. Et c’est ce que défend Justine Malpeli lors de sa conférence : la liberté humaine comme valeur centrale de l’oeuvre. J.K. Rowling “semble se détacher de la notion de destin” très forte dans la mythologie et surtout dans les parcours des héros tragiques. Dans Harry Potter, l’art divinatoire est moqué par le biais de Sibylle Trelawney, professeure de divination à Poudlard. De plus, les professeurs McGonagall et Dumbledore semblent accorder peu d’importance aux prophéties. Même si certaines s’avèrent vraies, la plupart des visions de Trelawney sont souvent moquées ou discréditées et Harry prend ses décisions indépendamment de ce qu’elles peuvent prévoir. Evidemment, il s’agit ici d’une liste non-exhaustive d’éléments abordés par Justine Malpeli. Grâce à cette conférence, elle parvient à faire la lumière sur sa discipline de recherche et fait la part belle à la mythologie. Pour elle, même si certains considèrent Harry Potter comme une “mythologie un peu vulgaire”, ce monde nous en apprend sur l’appropriation des mythes dans un contexte contemporain. Même si dans le cadre de ses recherches Justine ne lit plus Harry Potter de la même manière, elle est fière d’avoir “réussi à prouver que cette oeuvre pouvait être traitée” dans un champ universitaire.

Si vous êtes intéressé.e.s par le travail de Justine Malpeli, sa conférence est disponible via ce lien.