Scylla est une figure emblématique du rap belge. Actif depuis le début des années 2000, Éternel, son dernier album, est sorti en décembre 2022. Nous l’avons rencontré lors de son passage à l’Aéronef de Lille, salle dans laquelle il jouait pour la première fois.

Tu as fait ton premier Olympia, de nombreuses dates de ta tournée sont complètes. Comment te sens-tu ?

Je me sens extrêmement bien. La tournée est un moment galvanisant. Le public est incroyable sur toutes les dates, et il connaît toutes les paroles. C’est vraiment incroyable.

Lors de différentes dates de ta tournée, tu as à coeur fait monter sur scène des artistes avec qui tu as pu collaborer.

J’ai à cœur d’inviter des artistes qui font partie de la sphère intime, ou avec qui j’ai collaboré de manière très naturelle. Durant ma carrière, tous mes featurings se sont faits de manière très humaine, sans managers interposés. Mes collaborations sont avant tout des rencontres, que ce soit Furax Barbarossa, Sofiane Pamart, Antoine Elie, Jewel Usain, Isha ou encore Souffrance.

Tu as beaucoup collaboré avec Furax Barbarossa. C’est important pour toi de collaborer avec des artistes sur le long terme ?

Quand je commence une collaboration avec un artiste, j’ai tendance à entretenir le lien le plus longtemps possible, sauf si je sens que ça ne match plus, auquel cas nos chemins se séparent. Je suis fidèle en musique. Avec Furax, il y a un peu un côté binôme que j’apprécie beaucoup.

Faire un featuring important, avec l’artiste du moment, ça ne peut qu’être bénéfique, mais j’ai du mal à imaginer une collaboration basée uniquement sur le business et qui ne serait pas naturelle. A ce niveau, je fais confiance à la vie, l’humain est le plus important.

Tu peux nous en dire plus sur ta collaboration avec Antoine Elie pour le morceau Éternel ?

On s’est envoyé des messages sur les réseaux sociaux. Il me disait qu’il écoutait beaucoup ma musique. Je lui ai proposé un featuring. A cette époque, je travaillais sur le dernier titre de l’album, qui s’avère être le titre éponyme. HKAR m’a dit qu’il imaginait Antoine Elie sur cette prod. Je lui ai proposé, mais je lui ai fait comprendre que je serai intraitable. Il m’envoyait des propositions en me disant “Si c’est de la merde, tu me le dis !”. Finalement, tout s’est fait très rapidement et j’ai été conquis. Antoine est un excellent artiste, à l’écoute et sans égo. Je suis plus que satisfait de ce morceau. Peut-être que nous serons amenés à de nouveau collaborer.

Comment s’est passée la création de ton album ? Éternel est né pendant la crise sanitaire ?

Eternel a commencé à se dessiner pendant Pleine Lune, mon album avec Sofiane Pamart. Kendo, producteur bruxellois, souhaitait tenter quelque chose hors rap, en exprimant vraiment ce qu’il y a en nous. Avec les premiers morceaux, à savoir Immortel (une seconde), Saut de l’ange ou Retour du roi, on se retrouvait face à une musique que l’on ne parvenait pas à qualifier. L’album est né grâce à deux vagues de créations, avec des directions artistiques bien distinctes.

Tu évoques Saut de l’ange, dont le clip officiel est déroutant. La vidéo est un médium important dans ta création ?

La vidéo est très importante, surtout pour cet album. On sentait que notre musique était très cinématographique. Les morceaux sont presque des films. Pour Saut de l’ange, nous nous sommes entourés de l’équipe de BLEUNUIT, qui avait déjà réalisé Immortel (une seconde). On leur a demandé de réaliser des visualizers dans le même esprit afin de les décliner sur Saut de l’ange et Retour du roi. Ainsi, on pouvait sortir ces trois titres en prologue à l’album.

Ensuite, la DA a été déclinée par Nicolas Caboche qui avait déjà réalisé les clips de BX Vibes ou BX Vice. Il a réalisé le clip de Sang Bleu, et ça m’a fait plaisir de pouvoir amener de la science-fiction dans la création.

Est-ce que tu dirais que ton rap raconte des histoires ?

Mon album se compose de constats et de beaucoup d’émerveillements. Mon morceau Le chant des baleines en est la preuve. Je n’arrive pas à me taire par rapport à beaucoup de choses que je vois, que ce soit sur les autres ou sur moi-même. 

Cependant, je déteste le fait d’être moralisateur. Il est intéressant de pouvoir proposer son point de vue, comme dans une discussion philosophique. Il faut ouvrir des portes qui peuvent amener à d’autres sources de réflexion, et je trouve ça intéressant de les ouvrir par le biais d’une histoire ou d’une narration.

J’aime bien incarner des personnages pour être critique, ou pour questionner des faits de société. Il y a un côté ludique qui me plaît. Dans mon album, le côté androïd / humain est assumé, disséminé dans de nombreux titres, avec des références directes à George Orwell, Aldous Huxley, ou des films comme Blade Runner et Ghost in the Shell.

« Les artistes se doivent d’être force de proposition, en proposant une vision qui les caractérise. »

Sur Youtube, en commentaire d’un de tes clips, un internaute a écrit “Ta voix est la même que ma voix intérieure”. Qu’est ce que ça t’évoque ?

Au début de ma carrière, j’étais dans le rap “pur et dur”, très technique. Je faisais des freestyles face caméra, avec des multisyllabiques et un flow tranchant. Parallèlement, j’écrivais des morceaux plus sentimentaux et plus profonds. Je me suis rapidement aperçu que la réaction du public face à mes morceaux profonds et sentimentaux était plus intéressante que la réaction face au rap technique. Avec mon album Pleine Lune, mon public s’est considérablement élargi, et Éternel était encore un nouveau pari.

Les formes sont différentes, mais l’ADN reste le même. Après toutes ces années, le public est toujours présent pour mes pensées et la quête que je véhiculee, même si je n’ai pas la prétention de l’avoir inventée. Mon public a évolué, il se compose d’anciens et de nouveaux entrants, tout en sachant que certains sont partis car ils ne s’y retrouvaient plus.

Chaque album est une potentielle fin de carrière, mais j’aime ce sentiment. Les artistes se doivent d’être force de proposition, en proposant une vision qui les caractérise.

J’ai conscience qu’Éternel est un album atypique, particulièrement immersif. De nombreuses personnes m’ont avoué leur déception lors de la première écoute de l’album, puis, après être passé au-delà de leurs attentes initiales, elles ont véritablement adhéré et compris ma proposition.

Il est nécessaire de faire bouger les lignes et d’amener autre chose, surtout dans ce monde stéréotypé dans lequel nous vivons. Il faut avoir confiance en ce que nous faisons.

Est-ce que tu aurais une recommandation rap à nous faire ?

Dajak, qui assure mes premières parties, est très fort. Je peux aussi recommander Dayaz, qui fait partie de mon équipe, et qui incarne plutôt le côté rue de Bruxelles.