Cinéaste issu du documentaire, Arnaud des Pallières revient à la fiction avec Captives, huit ans après Orpheline. Mélanie Thierry y interprète Fanni, prête à tout pour retrouver sa mère, enfermée à la Pitié-Salpêtrière.
Pourquoi avez-vous choisi de traiter de thème de la psychiatrie, avec une plongée au cœur de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui était un asile pour femmes ?
Avec ma co-scénariste, Christelle Berthevas, nous avions envie d’écrire un film d’époque, tout en travaillant des personnages féminins. La proposition de Jonathan Blumental m’a tout de suite parlé. J’ai aimé le fait que les hommes n’arrivent que lors de la scène finale, lors du bal. Le tournage a été une expérience humaine et cinématographique géniale. Reconstituer un monde à travers des personnages féminins était extrêmement enthousiasmant.
Ce n’est pas la première fois qu’un tel sujet est traité.
Je sais que nous avons eu beaucoup de prédécesseurs, que ce soit sur cette époque, sur la psychiatrie ou sur la Pitié-Salpêtrière. Cependant, ils s’étaient concentrés sur la figure masculine, notamment Charcot, qui cachait les différentes figures féminines. Nous avons situé le film lors de l’arrivée de la nouvelle génération de médecins qui estiment que ce bal est peut-être problématique. L’intérêt était de découvrir le peuple féminin qui vit au cœur de Paris, avec des femmes qui se sont réinventées une vie au cœur de l’hôpital.
Les personnages secondaires sont très importants dans le film, ce sont des éléments clés dans la quête de Fanni, interprétée par Mélanie Thierry.
Il nous fallait être constamment dans le regard du personnage principal, sans jamais la quitter, tout en maintenant une diversité et une multiplicité de personnages secondaires. Avec Christelle, nous sommes des amoureux d’un cinéma populaire français qui sait travailler en profondeur les personnages secondaires. Par ailleurs, il fallait que l’on propose de quoi jouer aux différentes actrices, tout en évoquant les mille manières d’être une femme à cette époque. Aucun personnage secondaire ne se ressemble.
Toutes les actrices, jusqu’aux figurantes en situation de handicap, ont été traitées pour leur singularité. Nous faisions attention à elles. Je leur devais presque un portrait à chacune.
Pour réaliser votre film, vous aviez de grandes ambitions, mais assez peu de moyens.
Avoir de grandes ambitions mais peu d’argent résume un peu ma carrière de cinéaste. Nous avons dû faire des choix. Le tournage a duré 7 semaines. Avec les chefs opérateurs, nous avons réfléchi à de nouvelles manières de travailler, qui aboutissent à une nouvelle écriture cinématographique.
La préparation du film s’est arrêtée deux fois. J’ai perdu mon casting principal et presque l’intégralité de mon équipe technique. Étonnamment, ça a été mon tournage le plus heureux car j’ai réalisé la chance que j’avais de réaliser Captives. J’ai conscience que le tournage a été fatiguant et éprouvant pour les actrices, notamment à cause des différentes canicules. Toutefois, elles ont un apport plastique, car la peau des actrices luit et brille à la caméra, ce qui est rarement montré au cinéma.
Je viens du documentaire, j’adore faire avec les moyens du bord, une fois sur le plateau.
Captives mélange les genres, entre douceur et noirceur, touchant parfois à l’horrifique. Est-ce important pour vous ?
Je ne pense pas en termes de genres. J’aime que mes films soient empreints de contradictions, que ce soit dans sa narration ou dans ses personnages. Les forces contraires créent de l’énergie.
Je m’estime trop souvent pris pour un imbécile au cinéma. J’ai envie de faire des films qui s’approchent de la complexité du monde. Ma vie de cinéaste ne passe pas par un genre spécifique. Captives navigue entre le tragique et la comédie.
Pourquoi avez-vous choisi Mélanie Thierry pour incarner Fanni, le personnage principal ?
Je connaissais très mal la carrière de Mélanie, mais c’est une très grande actrice, qui a désormais une place importante pour moi. Initialement, je pensais que ce n’était pas une actrice pour moi en raison de son jeu hyper naturel et hyper contemporain. Aujourd’hui, je dois reconnaître que mes intuitions n’ont pas été bonnes. Pour Michael Kohlhaas, Mads Mikkelsen n’était pas mon premier choix, et j’étais malheureusement de savoir que l’acteur pressenti n’était pas intéressé.
Dans Captives, Mélanie Thierry a construit une partie de l’identité de Fanni que je n’aurais pas été capable d’imaginer.
D’ailleurs, le jeu moderne de Mélanie Thierry et votre manière de filmer fait que le spectateur n’a pas forcément l’impression de regarder un film d’époque.
J’ai dû aller chercher chez Mélanie Thierry la féminité des femmes de l’époque, ainsi qu’une certaine douceur dont le personnage et les spectateurs avaient besoin. Dans la vie de tous les jours, Mélanie est presque une bagarreuse, une véritable boule d’énergie, déterminée.
Votre film s’apparente presque au genre du film de prison.
On a beaucoup pensé à ce genre à l’écriture du scénario. J’ai revu Un condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson et Le Trou de Jacques Becker, pour lequel je voue une véritable passion. La Pitié-Salpêtrière est une prison très vaste, presque une ville, à la manière de la série Le Prisonnier. Ce genre de films dit quelque chose des alliances qui peuvent se tisser entre les personnages, avec des non-dits et des secrets.