The Substance, le nouveau film de Coralie Fargeat, a fait sensation au dernier Festival de Cannes, en provoquant quelques malaises, pour finalement repartir avec le prix du scénario. À l’occasion de sa sortie, le 6 novembre, nous avons rencontré la réalisatrice.
Comment avez-vous écrit The Substance, et comment êtes-vous parvenue à le produire ?
Cela a demandé énormément de détermination et de combats. J’ai pris le temps de construire autour de moi l’environnement nécessaire pour réaliser ce film. Afin que le film soit ce qu’il est, il fallait que je trouve les bons partenaires et que je puisse garder un certain contrôle. J’avais besoin de travailler avec des Anglo-Saxons tout en intégrant un fonctionnement à la française, notamment pour bénéficier de libertés créatives.
J’ai écrit le scénario sans m’engager avec qui que ce soit, ni recevoir de paiement, pour garder les droits jusqu’au bout. Parallèlement, je voulais coproduire le film en sélectionnant des partenaires capables d’apporter les ressources nécessaires. Je savais où investir pour une production sur mesure. Pendant près de 100 jours, nous avons tourné en équipe réduite, notamment pour les effets spéciaux de maquillage dans un hangar. C’était comme un véritable laboratoire de savant fou. Nous y avons filmé des scènes cruciales avec des prothèses, des têtes qui explosent, des dos qui s’ouvrent. L’équipe était constituée de personnes pour qui l’aspect artistique comptait énormément, tout le monde était très impliqué. Après le tournage, il a fallu que je reste ferme pendant un montage d’un an face à des gens qui ne comprenaient pas toujours mes choix. Être seule face à tout cela n’a pas été facile, mais c’était la seule manière pour que le film reste fidèle à ma vision.
La projection à Cannes a été la première présentation publique. Je savais que certains pourraient trouver le film extravagant, mais c’est fascinant : tant qu’un film n’est pas vu, il n’existe pas vraiment. Ça a été une épopée durant laquelle j’ai réussi à éviter les pièges pour ne pas perdre la maîtrise de mon œuvre.
Le processus de création du film a donc duré 7 ans, depuis la sortie de votre premier film, Revenge ?
Presque. Après la sortie française de Revenge, j’ai passé près d’un an à le présenter dans le monde entier, une période très épuisante, après laquelle je ne savais pas du tout ce que j’allais faire. Il m’a fallu du temps pour digérer ce premier film. Comme il a bien marché aux États-Unis, j’ai reçu beaucoup de scénarios et d’offres de réalisation, mais je les ai refusées, pensant que c’était une bonne décision. Puis l’idée de l’écriture est venue. Lorsque le script était prêt, la pandémie de COVID a ralenti le financement, et j’ai fait face à de nombreux refus.
Quels étaient les motifs de ces refus ?
Je savais que The Substance ne ressemble à rien de ce qui a été fait auparavant. Les producteurs le trouvaient trop risqué, et le sujet, centré sur une perspective féminine, ne suscitait pas beaucoup d’intérêt. Le potentiel de box-office n’était pas perçu, ce qui les rendait réticents. De plus, le casting n’était pas encore fixé. Je souhaitais des actrices et acteurs emblématiques pour différents rôles, même si cela risquait d’être complexe. Le potentiel du film s’est révélé lors du festival de Cannes.
Pour en revenir à la question précédente, le tournage a duré près de six mois avec un maximum de prises de vue réelles. La post-production a duré un an et demi avec des effets spéciaux, ce qui explique ces sept ans de travail.
« Le rapport au corps féminin, influencé par la société qui pousse souvent à se détester, m’intéressait particulièrement. »
Votre scénario est ancré dans l’industrie médiatique et hollywoodienne américaine. Avez-vous envisagé de le transposer dans un contexte français ?
Tout s’est fait par étapes. Dès que j’ai eu l’idée principale, j’ai cherché des visuels et des sons pour déterminer dans quel univers le scénario se déroulerait. Je voulais que chaque élément ait une portée symbolique. Le rapport au corps féminin, influencé par la société qui pousse souvent à se détester, m’intéressait particulièrement. Ce thème touche toutes les femmes, et le métier d’actrice symbolise bien la figure idolâtrée tant qu’elle est jeune et belle, mais oubliée en vieillissant.
Puis, l’image de l’étoile hollywoodienne m’est venue. Cette étoile symbolise un monde superficiel, avec Hollywood comme temple de la beauté où le mythe de la star est poussé à l’extrême. Finalement, les décors du film sont également très symboliques et ancrent The Substance dans cet univers.
L’attention portée au son dans le film est-elle un choix esthétique ou une contrainte budgétaire ?
C’est un choix artistique. J’écris peu de dialogues, donc la mise en scène et le son sont essentiels dans mon travail. Quand j’écris, je construis mon univers sonore en écoutant de la musique. En fonction de l’ambiance que je veux transmettre, j’aime parfois laisser des éléments hors champ pour stimuler l’imaginaire des spectateurs. Je garde aussi un œil sur les coûts, sachant que certaines idées pourraient être trop chères à réaliser. Les contraintes budgétaires, au cinéma, obligent à faire des choix créatifs et permettent d’affiner la vision.
Comment avez-vous constitué le casting de votre film ?
Je savais que le casting serait difficile. Je cherchais une actrice emblématique prête à affronter sa pire peur. J’ai essuyé des refus, certains pour des raisons de planning, d’autres par crainte. Le nom de Demi Moore est arrivé tardivement, et je n’y croyais pas trop, pensant qu’elle refuserait. J’avais une image d’elle comme quelqu’un de très contrôlé. J’ai été surprise par son premier retour positif. Lors de notre rencontre, je me suis assurée qu’elle était prête à se lancer dans cette aventure tournée en France, bien loin des productions hollywoodiennes. Nous avons parlé de la nudité dans le film, un point important pour moi. Demi m’a surprise par son côté rock’n’roll, très loin de l’image que j’avais d’elle.
Quant à Margaret Qualley, son énergie instinctive et animale m’a captivée dès le début. Dans la vraie vie, elle n’a pas la silhouette de son personnage, alors elle a travaillé son corps et a porté une fausse poitrine pour le rôle. Elle s’est vraiment investie.
Avec Dennis Quaid, c’était différent. Au départ, j’avais rencontré Ray Liotta, qui adorait le scénario et était enthousiaste, mais il est malheureusement décédé une semaine avant le début de la préparation. Après ce choc, nous avons cherché un autre acteur, et Dennis s’est rapidement imposé. Il est arrivé sur le tournage sans préparation et a immédiatement trouvé sa place.
Demi Moore a fait preuve de courage en acceptant ce rôle. Est-ce une forme de révolte contre Hollywood ?
Je pense qu’elle était dans une phase de réappropriation de sa vie. Son apparence a longtemps été un sujet d’obsession à Hollywood, ce qui n’est pas sans conséquences. Quand une femme n’est plus jeune et ne rentre plus dans le rôle de la mère ou de la « femme séduisante, » on peut lui faire sentir qu’elle n’a plus de valeur, ce qui est extrêmement violent. Le regard masculin, qui aide en partie à construire notre image sociale, est impitoyable. Certains moments de vie personnelle ont affecté Demi profondément. Aujourd’hui, elle a retrouvé pied, et ce film représente une façon de montrer qu’elle est libre du regard des autres. Elle a vu dans The Substance une opportunité de se réaffirmer. C’est une actrice très intelligente et instinctive, apaisée aujourd’hui, sans esprit de revanche.
Où avez-vous tourné en France ?
Nous avons filmé dans des décors naturels à Paris et dans des studios à Épinay. Pour les scènes extérieures avec les palmiers, nous sommes allés jusqu’à Cannes.