Après Jeune Femme en 2017, récompensé de la Caméra d’Or au Festival de Cannes, Léonor Serraille nous dévoile Un petit frère, son second long-métrage, dans lequel Annabelle Lengronne interprète Rose.
Comment sont nés les personnages de votre film, et comment les avez-vous fait vivre ?
Léonor Serraille : Au cinéma, les personnages comme ceux du film sont souvent caricaturés et réduits à des mots, des images, des choses qui sont, la plupart du temps, clichés ou misérabilistes. Le film n’est pas militant, mais il ne tombe pas dans la facilité des représentations. Les principaux faits scénaristiques sont inspirés de ma belle-famille, qui m’a permis de m’en emparer, tout en me demandant d’y intégrer beaucoup de fiction. J’ai gardé l’histoire du trio, séparé par la vie à certaines périodes, avec cette mère seule.
Comment s’est passé le casting d’Annabelle Lengronne ?
L.S. : En écrivant le scénario, je n’avais aucune actrice et aucun acteur en tête. Des discussions ont eu lieu avec la directrice de casting, qui est la même que pour Jeune Femme, et nous avons réfléchi à qui était susceptible d’incarner les différents personnages. Dès l’entrée d’Annabelle dans la salle lors du casting, ça a été une évidence. Je l’ai découverte dans Mercuriales, puis dans Filles de joie. Le casting du film était dense, mais il s’est fait assez rapidement, et de longues discussions ont eu lieu avec chaque actrice et acteur.
Quelle a été votre réaction lors de la découverte du scénario ?
Annabelle Lengronne : J’ai fait le choix de découvrir le personnage avant d’avoir une vue d’ensemble sur le scénario. Léonor m’a indiqué comment le personnage de Rose réfléchit, son état d’esprit et la manière dont elle fait face aux obstacles. Ce personnage est déconcertant. J’ai dû réussir à attraper sa nature. Mon personnage ne subit pas. Elle traverse les époques et les situations avec aplomb et panache, même si elle se rétrograde socialement.
L.S. : Annabelle a assisté aux castings des autres comédiens, que ce soit les adultes ou les enfants, afin de savoir si son personnage était en adéquation avec eux.
Pourquoi avoir fait le choix de construire votre film en trois volets, chacun consacré à un personnage ?
L.S. : La structure s’est imposée assez rapidement, avec une mère moteur de la famille. Dans la première partie, Rose vit une éducation sentimentale, à sa façon. Le personnage de Jean est quant à lui chargé d’un poids : il doit s’intégrer, tout en étant un transfuge de classe. Il est marqué d’un spleen intérieur, qu’il peine à exprimer, en étant perméable aux souffrances de sa mère. Enfin, Ernest est en filigrane dans le film. Le spectateur assiste aux étapes afin qui lui permettent d’être légitimement là. La partie d’Ernest est elle-même scindée en deux temps, entre adolescence et majorité. Le tournage a duré 9 semaines. J’ai vraiment eu beaucoup de matière, et le montage a duré 6 mois. Ce tournage m’a permis de tester de nouvelles manières de travailler, en comparaison avec mon premier film Jeune Femme.
L’improvisation avait-elle une place importante lors du tournage ?
A.L. : Lors du tournage de certaines scènes, j’avais l’impression d’improviser, mais finalement nous retombions constamment sur la scène telle qu’elle était écrite. Le temps de travail sur nos personnages nous a permis de toujours revenir vers la trame initiale. Ce sont des improvisations sans en être.
L.S. : Les vraies improvisations sont les scènes avec les enfants, notamment lorsqu’ils questionnent leur mère et qu’ils souhaitent savoir où elle va. L’objectif est que les acteurs connaissent le scénario, mais qu’ils me le refassent découvrir lors du tournage, tout en restant le plus juste possible.
Le fait que vous soyez une réalisatrice blanche réalisant un film sur une famille noire a-t-il été un sujet de discussions ?
L.S. : Ahmed Sylla m’a fait part de sa crainte, tout en me partageant son envie de participer au film. Nous recherchions l’universel. Il me semblait important que cette histoire soit racontée. La variété de regards sur ces sujets-là est essentielle. Ainsi, je me suis permis de le faire, en me rappelant que j’étais légitime.
A.L. : Personnellement, je suis agacée par le nombre de films traitant de personnages non-blancs et qui font preuve d’une certaine forme de voyeurisme et de fantasme, avec, la plupart du temps, des cadres de vie liés à la banlieue, à la violence ou à la souffrance. Il y a eu des abus dans le cinéma, d’où le fait que la question se pose. Dans Un petit frère, nous dépassons ce cadre, ce sont des personnages à part entière, et il ne m’avait jamais été donné la possibilité d’interpréter une femme comme Rose.
Heureusement, le nombre de rôles proposés à des personnes noires se multiplie. Cependant, elles sont encore affiliées à des clichés. Le fait qu’il y ait des réalisatrices et des réalisateurs noirs fera avancer les choses. Quand des personnes noires font des films sur des personnages noirs, la différence de regard n’est pas négligeable.
Que ce soit dans Jeune femme ou Un petit frère, une des thématiques récurrentes est le fait de trouver sa place. Est-ce inconscient ou s’agit-il d’un sujet qui vous parle ?
L.S. : Cette question est importante pour notre génération, et pour moi, et je pense toutefois que c’est inconscient. Cette question gravite autour de toutes et tous. Les questions d’identité m’intéressent.
Quel est votre rapport à la poésie ? Car vos personnages déclament des poèmes de Pierre de Ronsard ou de Guillaume Apollinaire…
L.S. : La poésie est très importante pour le père de mes enfants. Il aimerait être associé à la poésie. J’avais envie que le film comporte des éléments qui lui ressemblent. Spontanément, la voix-off n’est pas un élément scénaristique que j’affectionne, que ce soit en tant que réalisatrice ou spectatrice. Dans Un petit frère, le film a imposé ses lois, avec la poésie.
En tant qu’actrice, êtes-vous satisfaite de votre vieillissement dans le film, et vous imaginiez-vous comme ça ?
A.L. : Je ne me suis pas dit que je finirai comme ça, mais c’est une expérience particulière car elle renvoie à sa finitude. En tant qu’actrice, je dois me questionner en tant que personnage et non en tant qu’Annabelle. Pour marquer le changement, j’ai pris du poids. Rose a vieilli avec son goût pour les sucreries. Tout repose dans l’énergie du personnage. Créer la vieillesse du personnage était un exercice passionnant.