Dans Le Ravissement, son premier long-métrage, Iris Kaltenbäck interroge la parentalité et le mensonge à travers le personnage de Lydia, magistralement interprétée par Hafsia Herzi. Alexandre de la Baume compose la musique du film, et fait de cette dernière un personnage à part entière.
Le Ravissement est inspiré d’un fait divers. En quoi vous a-t-il intéressé ?
Iris Kaltenbäck : Le principe qu’un mensonge puisse bouleverser une amitié tout en faisant naître une histoire d’amour est intéressant. J’avais très envie de raconter une amitié féminine au cinéma. L’écriture m’a fait penser à une amitié que j’ai avec une amie très proche, durant laquelle la naissance de son enfant a provoqué un bouleversement auquel je ne m’attendais pas. Parallèlement, je souhaitais raconter la place du faux-semblant dans une histoire d’amour. J’ai l’impression que tout le monde a déjà travesti la vérité afin de plaire un peu plus.
Comment avez-vous écrit le personnage de Lydia, interprétée par Hafsia Herzi, afin que le spectateur ait toujours une certaine affection pour elle, malgré la gravité de ses actes ?
I.K. : Il me fallait raconter la manière dont cette femme s’enferme dans ce mensonge, en faisant appel à des mécanismes humains, auxquels il est possible de s’identifier. À la lecture du scénario, Hafsia Herzi m’a dit qu’elle comprenait le personnage, même si, évidemment, elle n’a jamais vécu avec un aussi gros mensonge. J’ai pris l’histoire de Lydia fragment par fragment, comme une reconstitution, afin de la comprendre, ce qui m’a aidé dans la direction d’acteur.
Aviez-vous Hafsia Herzi en tête lors de l’écriture du scénario ?
I.K. : J’écris sans penser aux actrices et acteurs. J’ai besoin de m’abandonner aux personnages et au romanesque. Le choix des acteurs vient dans un second temps. C’est un moment compliqué, presque douloureux, de passer d’un personnage fictif, sans traits définis, à une personne réelle, car ça oblige des renoncements. Quand, avec Youna De Peretti, ma directrice de casting, nous avons pensé à Hafsia Herzi, ses rôles précédents nous sont revenus. Ce sont des rôles où elle exprime beaucoup ce qu’elle pense par le dialogue. Dans Le Ravissement, il y a un défi d’exprimer beaucoup, mais pas par la parole. L’immense force de Hafsia Herzi est d’être parvenue à incarner le personnage avec beaucoup de conviction, mais de manière plus pudique que dans d’autres films où elle apparaît.
Et pour quelles raisons avez-vous choisi Nina Meurisse ?
I.K. : Pour le personnage de Salomé, j’attendais de savoir qui était Lydia. Je voulais que ces deux amies soient très différentes, tout en pouvant croire au lien très fort qui les unit. Avec Nina Meurisse, j’ai beaucoup aimé le fait qu’elle apportait beaucoup de joie et de spontanéité à un personnage qui vit un post-partum douloureux. Elle m’a bluffée en créant rapidement une réelle personnalité à Salomé. Son jeu diffère de celui de Hafsia, ce qui m’a beaucoup plu.
Selon vous, Lydia a-t-elle pleinement conscience de ses actes ?
I.K. : C’est une question à laquelle je n’ai pas réellement envie de répondre car les spectateurs peuvent se raconter beaucoup de choses à propos d’elle. Une interrogation gravite autour d’elle. Cependant, toutes les personnes vivant dans un grand mensonge finissent toujours par y croire un peu.
Dans le film, Lydia est sage-femme. Pourquoi avez-vous souhaité mettre en avant le milieu médical ?
I.K. : Je souhaitais que les femmes allant voir ce film retrouvent une réalité qu’elles ont vécue, notamment avec la scène de l’accouchement. Faire appel au réel pour le milieu médical était important pour moi, je ne souhaitais pas faire de la reconstitution. Je rêvais de filmer le visage d’une mère qui accouche et le premier regard qui se pose sur l’enfant, et ce sans a priori. Par ailleurs, je trouve que le métier de sage-femme est très cinématographique car il passe essentiellement par les gestes.
Avez-vous laissé une certaine liberté aux acteurs et actrices lors du tournage ?
I.K. : Le scénario était très écrit, mais j’ai quand même souhaité le modeler autour des comédiens. Je leur ai laissé une liberté afin qu’ils soient force de propositions. Chaque personnage a évolué grâce aux comédiens. Au départ, le personnage de Milos, interprété par Alexis Manenti, n’était pas serbe. Il l’est devenu car Alexis a des origines serbes.
Pendant les répétitions, lorsque les comédiens connaissaient l’enjeu de la scène, je leur demandais de la jouer de la manière dont ils souhaiteraient l’interpréter, avec possibilité de s’éloigner du texte. Étonnamment, on revenait toujours au texte, mais avec une appropriation beaucoup plus forte. Sur le tournage, la première et la dernière prise étaient toujours libres.
« Dans un mensonge, il y a deux personnes : celle qui ment et celle qui croit. »
Avez-vous toujours eu l’idée de la voix-off de Milos ?
I.K. : Oui, j’en avais vraiment besoin car je ne voulais pas que ce personnage soit simplement un homme dupé. Par cette voix, Milos interroge le personnage de Lydia, mais également la place qu’il a tenu dans le mensonge. Dans un mensonge, il y a deux personnes : celle qui ment et celle qui croit. Je souhaitais que le personnage masculin s’interroge sur sa responsabilité, avec une forme de doute sur ses intentions.
Alexandre, comment avez-vous mis en musique les personnages et leurs tribulations ?
Alexandre de la Baume : J’ai été beaucoup aidé par la structure romanesque du scénario. J’ai pu assumer une vraie musique de film, et non une simple musique d’accompagnement, avec un certain lyrisme. J’ai été très libre dans ma composition musicale. Il me fallait seulement trouver les ambiances justes pour accompagner une héroïne qui s’enfonce, mais qui se libère.
I.K. : Alexandre a commencé à composer dès l’écriture du scénario, ce qui n’est pas courant. Pendant le montage, les propositions ont tout de suite été posées, même si elles ont été modifiées. La musique est devenue une ligne narrative au même titre que la voix-off, en s’éloignant du naturalisme pour aller vers d’autres genres.
A.d.l.B. : Travailler de cette manière est un luxe car c’est beaucoup moins stressant. La manière était telle en amont du montage qu’il nous a suffit de trouver les bons morceaux et de les adapter.
Travailler sur un scénario est une tâche plus abstraite, et laisse donc plus de place à l’imagination. L’image comporte tellement d’informations qu’elle peut imposer des contraintes, et il n’est pas toujours simple de trouver sa place.
I.K. : Par ailleurs, Alexandre a parfaitement su déterminer les séquences où il fallait que ce soit sa musique, et celles où il fallait que ce soit des morceaux non composés pour le film, souvent plus pop.
La bande son du film représente ma génération et celle des personnages, que ce soit par l’âge d’Alexandre ou l’utilisation de morceaux du groupe La Femme ou Juniore.
A.d.l.B. : La Femme et Juniore sont d’ailleurs deux groupes contemporains, mais qui ont quelque chose d’intemporel.
Envisagez-vous de collaborer ensemble pour de futurs projets ?
I.K. : Je l’espère ! Alexandre a tout de suite eu confiance en mon projet. C’était un réel plaisir. De plus, Pierre Deschamps, notre chef monteur, qui a une oreille très musicale, nous a beaucoup aidé et nous a permis d’encore mieux travailler ensemble.
A.d.l.B. : L’avenir nous le dira, mais c’est merveilleux de poursuivre une collaboration artistique et de la développer dans le temps.