Nombreux sont les films de procès dans le panorama cinématographique mondial. Nous viennent tout de suite à l’esprit des oeuvres telles que Le Procès d’Orson Wells, Autopsie d’un meurtre d’Otto Preminger ou, de manière plus contemporaine, Omar m’a tuer de Roschdy Zem. Avec L’Insulte, Ziad Doueiri s’y essaie, et s’y réussit.
Qu’il est difficile de rendre passionnant un film de procès, surtout quand le sujet semble épuisé. Et pourtant, Ziad Doueiri, réalisateur de Baron Noir, actuellement sur nos petits écrans pour une saison 2, y parvient brillamment. Outre des acteurs impériaux, c’est l’écriture du scénario de L’Insulte qui rend l’oeuvre palpitante. Dans une rue de Beyrouth, capitale du Liban, un simple « sale con » est lâché par un ouvrier à un des habitants de la rue dans laquelle les travaux se déroulent. Refusant de s’excuser, un dépôt de plainte est effectué et se solde par un passage au tribunal. Seulement, le procès prend un virage et devient d’intérêt national.
Derrière L’Insulte se cache un problème extrêmement tabou au Liban qu’est celui de la cohabitation et l’accueil des réfugiés palestiniens. En effet, la présence de réfugiés palestiniens reste un sujet très sensible. Nombreux sont les Libanais à refuser que l’État accorde la naturalisation aux ressortissants palestiniens ayant fui suite à la création d’Israël. La guerre civile libanaise, qui s’est déroulée de 1975 à 1990 a consolidé deux blocs qui ont pris leurs distances : les anti et les pro-palestiniens. Un récent recensement effectué par les autorités libanaises, pourtant hostiles aux données démographiques, a révélé qu’il y avait environ 174 000 réfugiés palestiniens répartis dans 12 camps à travers le pays.
C’est ainsi que se construit le conflit entre Toni, chrétien libanais, et Yasser, réfugié palestinien. Xénophobie, sionisme et anti-sionisme deviennent sujets centraux du procès, et certaines répliques peuvent s’avérer très marquantes, notamment « Sharon aurait dû vous exterminer », Ariel Sharon étant l’ancien Premier ministre israélien et ancien ministre de la Défense, notamment lors du massacre de Sabra et Chatila, durant lequel entre 700 et 800 Palestiniens et libanais chiites ont perdu la vie.
Les rappels historiques dans L’Insulte sont nombreux, ce qui lui confère une portée pédagogique, permettant d’éclaircir certains points sombres de l’histoire du Liban. Cependant, le film n’est pas une simple énumération de faits. L’intensité dramatique est extrême et ne cesse de croître. Plus les répercussions nationales sont importantes, plus la tension est palpable. Qu’on le veuille ou non, impossible de ne pas ressentir quelconque empathie pour les personnages. Même si l’on se doute rapidement du dénouement du procès, on se questionne sur les arguments des avocats, sur les tournures que vont prendre la défense des clients, et sur la considération des juges par rapport aux diverses arguties. Les plaidoyers sont remarquablement bien écrits et les monologues saisissants. Quel plaisir de retrouver cette intensité de procès dans ce film aux allures de huis clos, où la salle d’audience nous étouffe et nous prend à la gorge.
Une chose est sûre, Kamel El Basha, qui interprète Yasser, n’a pas volé sa Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine à la Mostra de Venise 2017. Le casting de L’Insulte frôle de très près la perfection, que ce soit Kamel El Basha, Adel Karam, qui interprète Tony, ou Diamand Bou Abboud et Camille Salamé, qui incarnent les avocats. Les choix techniques et esthétiques de Ziad Doueiri permettent aux spectateurs d’apprécier un jeu brut de décoffrage, où les sentiments et les expressions corporelles semblent prises sur le vif, presque à la manière d’un documentaire. On lit sur les visages des protagonistes, grâce aux très nombreux gros plans, les émotions qui les dominent. De la colère à la tristesse, en passant par l’inquiétude ou la déception, le jeu des acteurs est sans artifices. Puis viennent les scènes de procès où les performances de jeu sont toutes plus incroyables les unes que les autres. Mais il est préférable de ne pas trop en dire… Toutefois, s’il fallait relever un petit défaut, ce serait la durée du film. L’intensité narrative de L’Insulte, même si déjà très forte, aurait pu être décuplée si le film avait fait un quart d’heure de moins. Certaines scènes semblent légèrement redondantes et dégagent une très légère impression de déjà-vu.
L’Insulte est une des grosses claques cinématographiques de ce mois de janvier. Le voir nommé à l’Oscar du meilleur film étranger ne peut qu’être réjouissant, à savoir que c’est la première fois qu’un film libanais se retrouve nommé aux Oscars ! L’Insulte est un film lourd de sens, à l’écriture singulière et rigoureuse, où les acteurs excellent, chacun de manière distincte. En deux mots : à voir !
Le film sort le 31 janvier 2018.
Réalisateur : Ziad Doueiri
Scénario : Joëlle Touma et Ziad Doueiri
Casting : Adel Karam, Rita Hayek, Kamel El Basha, Christine Choueiri, Camille Salamé, Diamand Bou Abboud…
Musique : Éric Neveux
Distributeur : Diaphana Distribution