Durant un an, Marie Perennès et Simon Depardon ont suivi des groupes de colleuses féministes aux quatre coins de la France. De ce travail est né le documentaire Riposte Féministe, en salles le 9 novembre 2022. Rencontre.
Comment est née l’idée de travailler ensemble ?
Simon Depardon : On a eu le déclic du film ensemble, alors que nous rentrions chez nous. Sur un mur, on voit un collage frais, avec cette sensation que les personnes venaient de partir. On est fasciné par cette jeunesse qui est plus politisée que nous. La pensée politique autour de l’écologie et du féminisme est extrêmement belle et vivace. On s’est dit qu’il fallait essayer de mettre un visage dessus, et que ce serait super de les rencontrer ?
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour vous faire accepter au sein de ces groupes ?
Marie Perennès : Le problème n’est pas de se faire accepter, c’est juste que ça prend du temps de créer une confiance qui va nous permettre de placer la caméra proche d’elles, à l’intérieur de cercles d’intimité, et de les suivre dans une action perçue comme illégale. Il a fallu leur faire comprendre que leurs paroles n’allaient pas être déformées et que ce film pourrait leur servir de tribune. Nous avons passé près d’un an à faire le tour de la France en se rendant dans les différentes villes, et à réfléchir avec elle, pour s’adapter à leur mode d’action. Par exemple, les colleuses du Havre nous ont prévenu qu’elles collaient à vélo. Ce n’était pas le plus simple pour nous mais nous y sommes allés.
S.D. : Il y a aussi eu le problème des disponibilités. Ça a donc été un long travail mais à force d’abnégation nous avons rencontré nos protagonistes avec lesquels nous avons développé une certaine connivence.
Comment avez-vous rencontré les colleuses issues de collectifs de plus petites villes françaises comme Gignac ?
M.P. : Il y a un maillage territorial énorme. Il existe près de 200 collectifs en France. L’idée de faire des petites, des moyennes et des grandes villes nous est tout de suite venue. Ça a été un travail d’investigation et de rencontres avec les colleuses. Le documentaire a été tourné après le COVID, nous étions ravis de quitter Paris, et tout le monde était dans cette volonté de paroles, avec ce désir de partage, de rencontre. On aimerait que chaque personne qui vienne voir le film ait cette même expérience.
S.D. : Les personnes que nous avons filmées étaient convaincues par ce qu’elles disaient, ce qui leur permettaient d’oublier la caméra. Ce n’est pas un film sur la parole militante, c’est un film sur des personnes en train de vivre des choses, ce qui rend le moment assez beau.
« Le cinéma documentaire direct a un rapport avec l’instant décisif. Il faut être prêt au bon endroit, au bon moment, avec un dispositif installé, et ne pas avoir peur d’attendre. » – Marie Perennès
Vous vous faites oublier, tout en ayant une réflexion esthétique sur la forme.
S.D. : En refaisant toujours la même chose, en suivant des dizaines de collages, on a pu trouver le meilleur endroit pour placer la caméra, le long du mur notamment pour capter les visages. Il y a eu une réflexion sur la lumière, les focales, le son. Notre ingénieur du son a découvert que les micros étaient faits pour l’enregistrement de voix basses, et que les voix hautes passaient moins bien.
M.P. : Le cinéma documentaire direct a un rapport avec l’instant décisif. Il faut être prêt au bon endroit, au bon moment, avec un dispositif installé, et ne pas avoir peur d’attendre. On peut filmer 3 heures de conversations pour qu’au final, les paroles gardées soient celles prononcées au bout de 2 heures 50. Nous avions une centaine d’heures de rushs pour un film d’une heure et demie. Il faut accepter de chercher constamment le bon moment, pour qu’il finisse par arriver et dépasse ce que nous aurions pu écrire.
« En filmant au trépied, et non à l’épaule, nous avons tenté d’installer, comme elles, notre présence dans la rue. » – Simon Depardon
N’avez-vous pas eu peur que votre matériel influe sur le comportement des passants vis-à-vis des colleuses ?
S.D. : On touche la question philosophique liée au documentaire. Que la caméra soit là n’empêche pas vraiment les réactions. Pour nos protagonistes, c’est la même chose. Lorsqu’elles marchent dans la rue, qu’elles ont peur d’être suivies, qu’elles se retournent et voient une équipe de tournage de 4 personnes, cela n’empêche pas la peur. La caméra s’oublie quand ce que les gens sont en train de vivre est plus important que le fait d’être filmé. En filmant au trépied, et non à l’épaule, nous avons tenté d’installer, comme elles, notre présence dans la rue.
Pourquoi ce souhait de faire intervenir des figures médiatiques du féminisme comme Elvire Duvelle-Charles ?
M.P. : C’est une question d’adaptation à nos protagonistes. Dans la séquence avec Elvire, la personne que nous connaissions bien c’était Camille. Nous lui avons proposé de discuter avec quelqu’un devant notre caméra. C’est ainsi que ce débat sur la violence avec Elvire est né.
S.D. : Elles tiennent un discours plus analytique, plus politique et moins personnel. Mais ces paroles sur les luttes sociales ou la place de la violence traversent le temps.
Dans la continuité des personnes intervenantes, pourquoi avoir donné la parole à Laurence Rossignol ?
S.D. : Laurence Rossignol est sénatrice de l’Oise, et elle laisse régulièrement sa permanence au collectif de Compiègne pour les préparations de collages. On trouvait ça beau d’avoir la vice-présidente du Sénat au sol, avec les feuilles.
M.P. : Cette séquence montre une prise de position qui est différente, un regard différent. Ce sont deux générations qui peuvent communiquer et se répondre, là où médiatiquement elles sont régulièrement opposées. Les paroles de Laurence Rossignol sur le féminicide sont très intéressantes.
Comment avez-vous abordé le montage avec 100 heures de rushs ?
M.P. : Nous sommes partis en tournage avec énormément d’idées pour finalement venir au montage et avoir tout à construire. A partir des multiples thèmes abordés lors des différentes conversations, on a créé des blocs. Un fois les blocs pré-montés est apparue la question de la trame globale. C’est là que nous nous rendus compte qu’il fallait recentrer sur l’idée de l’espace public et ce qu’il signifie pour une femme, sur la manière de réinvestir ce lieu par le collage et de dire des choses à des endroits où elles ne devrait pas être. Le thème des féminicides a toujours été sous-jacent.
S.D. : Nous avons souhaité réaliser un film coup de poing, composé de bribes de vie, tout en restant cohérent.
M.P. : Le film n’est pas exhaustif et n’a pas prétention à l’être. Il existe très peu de films de cinéma qui parlent de féminisme, et il faudrait qu’il y en ait d’autres, au même titre que les films sur l’écologie se multiplient.
Avez-vous eu l’idée de parler de l’histoire du collage, qui est sujet à polémiques en France ?
M.P. : On disait aux protagonistes de ne pas parler de choses qui se sont passées. On parle de choses que l’on voit, que l’on vit. On ne peut pas passer un film à écouter des gens raconter des choses qui se sont passées et sur lesquelles on ne peut pas mettre d’images. Avec les anecdotes, il nous manque la représentation. Comme ce n’est pas un film historique, nous n’avons pas ressenti la nécessité de raconter cette histoire.
S.D. : Notre film a une vraie dimension fédératrice.
Comment s’est passé le travail de la musique ?
M.P. : Uèle Lamore, qui est une des plus jeunes cheffes d’orchestre, nous a vraiment accompagnés. On lui envoyait des petits morceaux de films pré-montés afin qu’elle puisse s’adapter aux différentes émotions. Elle a réussi à passer d’une ville à l’autre en en changeant l’état d’esprit.
Comment s’est déroulé le tournage à Amiens, lors de l’hommage à Manon et Claire ?
S.D. : Nous étions censés venir tourner 3 ou 4 semaines plus tard à Amiens. On reçoit un appel du collectif nous prévenant du féminicide et qu’une marche blanche va être organisée. Notre équipe technique n’était pas disponible, mais on fait le choix de s’y rendre à deux, Marie fait la prise de sons, je cadre. On se retrouve dans une intimité avec un collectif que l’on voit travailler d’une autre manière. Puis nous avons rencontré Isabelle, la mère de Manon, qui, malgré le drame, replace cette violence dans un système plus large, ce que l’on trouve extrêmement fort. Les institutions n’étaient pas là, ce sont les colleuses qui ont aidé à organiser tout ça. On touche du doigt un scandale de l’abandon des familles face à un tel drame. Les féminicides sont des faits systémiques, que l’on n’arrive pas à endiguer. On pourrait espérer une aide financière de la justice pour les familles de victimes. Pour rappel, l’action en justice s’est terminée par un non-lieu. Les gens ne peuvent plus faire leur deuil, et ça a été un tournant pour le film.
M.P. : Le fait qu’on ne soit qu’à deux pour cette séquence nous a aidé à capter au mieux la puissance de cet instant, tout en essayant de disparaître complètement.