À l’occasion de la sortie de Pas de vagues au cinéma, nous avons rencontré Teddy Lussi-Modeste, réalisateur, et François Civil, acteur, qui interprète Julien, un professeur accusé de harcèlement.

Teddy, vous avez co-écrit le scénario avec Audrey Diwan. Quelle est la part de fiction dans le film, sachant qu’il s’inspire de votre histoire ?

Teddy Lussi-Modeste : Le point de départ est une histoire qui m’est arrivée il y a quelques années car je suis toujours professeur en banlieue parisienne en plus d’être réalisateur. Initialement, avec Audrey, nous écrivions un film qui n’avait pas pour sujet mon histoire. Malheureusement, je ne parvenais pas à avancer car je vivais cette histoire au sein de mon établissement. J’ai donc trouvé important de raconter cette histoire afin de pouvoir passer à autre chose. Tout ce qui est dans le film est vrai car ce sont des choses que j’ai vécues ou ce sont des faits vécus par d’autres collègues.

Je considère Audrey Diwan comme la co-autrice du scénario car c’est grâce à elle que j’ai pu prendre du recul sur les évènements qui me sont arrivés pour me diriger vers la fiction. Le cœur du film est la manière dont un professeur se retrouve lâchée par une institution débordée. Je souhaitais faire un film hommage à la profession de professeur qu’il est de plus en plus difficile d’exercer depuis quelques années. Heureusement, depuis quelques années, les professeurs ont décidé de prendre la parole, notamment avec le hashtag #PasDeVague, réutilisé massivement en 2018 après qu’une professeur se soit faite menacer avec un pistolet factice. Les professeurs se sont mis à témoigner du silence de leur hiérarchie face à leur souffrance.

Pas de vagues sort en pleine période de libération de la parole, où l’on écoute enfin, et de plus en plus, les femmes et les enfants agressés sexuellement. Dans votre film, la jeune fille ment. Vous racontez votre histoire, certes, mais avez-vous réfléchi au fait que ça puisse être mal reçu par le public ?

T. L-M. : Pour moi, la jeune fille du film ne ment pas. C’était un élément moral important pour Audrey et moi lors de l’écriture. Le professeur est sorti du cadre scolaire et a ouvert une porte qui a provoqué cet événement. Le compliment fait devant toute la classe et la sortie au kebab font qu’elle se retrouve à attirer l’attention, ce qu’elle ne voulait absolument pas. Je ne souhaitais pas traiter le personnage de Leslie comme une menteuse, mais comme une jeune fille qui dit sa vérité. Le principe du film est de montrer que Leslie et Julien sont pris dans un engrenage où la vérité ne pourra être dite qu’entre eux deux. Le film montre la nécessité d’établir des protocoles afin de recueillir la parole des victimes.

François, pour quelles raisons avez-vous accepté ce personnage, et comment l’avez-vous appréhendé ?

François Civil : Le scénario m’a tout de suite happé. Le rôle de Julien est passionnant, au cœur d’une histoire complexe, avec de nombreux challenges. Et puis, j’avais beaucoup aimé les deux précédents films de Teddy.

Je sortais du tournage des Trois Mousquetaires, qui était une aventure folle. Cependant, l’intériorité psychologique du personnage de d’Artagnan est assez faible par rapport à celle de Julien. J’ai dû me questionner, que ce soit sur mon personnage ou sur l’approche des scènes. Enfin, je me suis laissé surprendre par les élèves. Teddy m’avait demandé de lire Retour à Reims, de Didier Eribon, afin de poser le personnage socialement.

C’est la première fois de ma vie que j’incarne un personnage qui me dépasse en dehors du tournage. Le matin en allant sur le plateau, ou le soir en rentrant chez moi, je me sentais alourdi par le poids de cette histoire. J’ai rarement été aussi concentré que sur le tournage de Pas de vagues.

« Je vois le film comme un appel à l’aide d’une profession qui souhaite être soutenue et qui a besoin de moyens pour travailler sereinement. »

Est-ce que vous avez eu une crainte d’incarner Julien, sachant que le personnage est directement inspiré de l’histoire de Teddy ?

F. C. : Je n’ai pas eu peur. J’ai senti une responsabilité en incarnant Julien. Tout au long du tournage, j’ai senti la confiance de Teddy qui m’a porté dans mon jeu. Sur le plateau, on ne se parlait pas beaucoup. À la fin des prises, nos regards se croisaient et on savait qu’on était dans le bon.

Pas de vagues est critique de l’Éducation nationale, mais avez-vous songé à être encore plus incisif ?

T. L-M. : Je ne sais pas si mon film est réellement un film à charge contre l’Éducation nationale. Je le vois davantage comme un appel à l’aide d’une profession qui souhaite être soutenue et qui a besoin de moyens pour travailler sereinement. L’école nous unit et nous permet de faire société.

Par ailleurs, il prouve que le “Pas de vagues” s’applique au professeurs, mais aussi à la direction de l’établissement qui doit protéger l’équipe éducative tout en complaisant aux parents d’élèves. Tous les personnages sont complexes.

Avez-vous rencontré des difficultés pour financer votre film ?

T. L-M. : Il s’agit d’une coproduction franco-belge. Une fois le scénario écrit, il a convaincu de nombreux acteurs financiers assez rapidement. Nous avons bénéficié d’une avance sur recettes, d’un accord avec Canal + et du soutien de la région. Parmi les trois films que j’ai fait, c’est celui avec le budget le plus important, même s’il s’agit d’un petit budget en comparaison avec d’autres films.

Sur le tournage, comment avez-vous travaillé avec les nombreux jeunes ?

T. L-M. : Le tournage a été simple car le travail en amont du tournage a été important. La directrice de casting les faisait travailler en leur expliquant progressivement le sujet du film et en les faisant improviser. Les jeunes qui sortaient du lot revenaient avec une scène à jouer. Nous avons ensuite fait travailler collectivement les jeunes retenus. Sur le plateau, il n’y avait pas beaucoup de place pour l’improvisation, tout était écrit. Etant professeur, j’ai la chance d’être au contact de la langue parlée par les élèves. Les jeunes savaient qu’ils jouaient un rôle et qu’ils travaillaient.

Pas de vagues est le premier film de Toscane Duquesne, qui interprète Leslie. C’est un rôle complexe pour une première fois au cinéma.

T. L-M. : Toscane prenait des cours de théâtre dans une petite école à Etampes. Lorsque la directrice de casting m’a envoyé les images de Toscane, j’ai directement été saisi par son magnétisme. La première séance de travail a fini de me convaincre. J’étais touché par ce qu’elle dégageait. Je percevais son envie de dépasser sa timidité.

F. C. : J’ai commencé à jouer à 14 ans, l’âge qu’a Leslie actuellement. Sa concentration et son professionnalisme en amont du tournage et sur le plateau m’ont impressionné, alors qu’à son âge, je considérais le plateau comme une aire de jeu. Toscane était investie du personnage et exigeante envers elle-même.

T. L-M. : À la fin du tournage, Toscane a écrit une lettre personnalisée de remerciements pour chaque personne qui travaillait sur le plateau. La rencontre avec Toscane est importante dans ma carrière de cinéaste. Je ne sais pas quel serait le film sans elle. Elle m’a beaucoup impressionné.

La musique est composée par Jean-Benoît Dunckel, cofondateur du groupe Air. Comment avez-vous travaillé avec lui ?

T. L-M. : Il est intervenu alors que nous avions un premier montage du film et que nous avions déjà fait des essais musicaux. Je lui ai fait part de mon envie de travailler l’électronique, mais également l’acoustique. L’objectif était de composer une musique qui permettait d’accompagner la forme du thriller du film.

Malgré l’institution qui lâche les professeurs, gardez-vous de l’espoir pour le futur ?

T. L-M. : Oui, c’est important de garder de l’espoir. J’ai fait ce film pour prouver la nécessité de travailler et d’avancer collectivement. Je continuerai d’être professeur en parallèle des films que je pourrai faire.