Ben Mazué était de passage à la Maison Folie Beaulieu à Lomme le 5 novembre 2015 pour la tournée de son dernier album 33 ans. Le personnage de Ben, sa voix, une guitare, un pianiste, une mise en scène des Gramy Awards mais aussi d’une émission de radio, une reprise de « The Next Episode » de Dr Dre, et beaucoup d’humour : ce concert était un vrai délice, un spectacle, presque un one man show musical. Nous avons eu l’occasion d’interviewer l’artiste avant sa montée sur scène.
Bonjour Ben Mazué, comment vous présenteriez-vous à ceux qui ne vous connaissent pas?
Bonjour, et bien pour me présenter je dis que je suis chanteur. C’est toujours un peu particulier chanteur parce que ça fait un peu métier que l’on voulait faire quand on était petit. Mais c’est pas forcément désagréable.
Vous vouliez être chanteur quand vous étiez petit?
Je pense que je voulais être chanteur. Oui j’ai dû passer par une phase ou je voulais être chanteur. Ça a dû changer quelques fois.
Pourtant vous avez fait des études entre temps qui n’avaient pas de rapport avec la musique?
Tout à fait, on est nombreux dans ce cas là. C’est vrai que moi j’ai fait des études de médecine, c’était intéressant c’était même passionnant. C’était une aventure qui s’est terminée au bout de 10 ans, c’est long les études de médecine… Et du coup après cette aventure là j’ai voulu en vivre une autre, l’aventure musicale qui a commencé et qui pour l’instant ne s’est pas terminée.
Vous ne vous êtes pas dit que finalement, vous auriez dû vous mettre à la musique dès le départ? Comment c’est arrivé la musique dans votre vie?
Non, je regrette pas du tout mes études, au contraire. Les métiers de la médecine ce sont des métiers d’apprentissage, donc on est très rapidement confronté, c’est pas de la théorie pendant 10 ans et après pas de pratique; non non! C’est vraiment tout de suite de la pratique. Comment c’est arrivé, je ne sais pas très bien, c’est arrivé tôt, très tôt.
Et à quel moment vous vous êtes dit j’arrête la médecine pour être chanteur?
Je faisais les deux en fait, et puis un jour j’ai eu l’opportunité de ne faire que de la musique et je me suis dit que si j’avais fait tout ça, ce n’était pas pour me poser des questions à ce moment là. Du coup je me suis pas posé de question et j’ai arrêté d’être médecin.
Vous avez gagné le prix de la SACEM au festival Jacques Brel de Vesoul en 2006, ça fait partie des choses qui vous ont propulsé?
Oui orf, c’est le moment où je me suis dit : je vais essayer de faire de la musique voilà. Donc c’était en 2006 et c’était la première fois que je me produisais ailleurs qu’à Paris. On m’avait proposé de faire ce tremplin, je l’ai fait et voilà. Mais ça a vraiment mis du temps à ce que la musique “devienne ma profession” à l’époque.
Vous avez des regrets?
C’est difficile comme question, moi j’ai toujours des regrets en général, c’est quelque chose qui va avec des personnalités telles que la mienne, des personnalités qui doutent beaucoup. Moi je doute beaucoup, je pense que c’est bien pour faire ses choix, ça permet de les faire avec une certaine sérénité mais il y a toujours une partie de regret. Pas beaucoup, mais un peu.
« Je pense que je fais de la chanson française, c’est pas forcément pour la musique que je fais, mais aussi le parcours »
Aujourd’hui vous avez déjà sorti 2 albums, vous commencez à vous confirmer. Vous êtes quoi : rappeur? Chanteur? Vous faites du slam?
Moi je fais de la chanson française, voilà, dans toute sa diversité. La chanson française c’est pas seulement la musique qu’on fait, mais c’est aussi le parcours qu’on a. Enfin la musique en général hein! Par exemple le parcours de la chanson française, c’est un parcours où on va faire des festivals comme le festival des Francofolies ou des festivals de chanson. Moi c’est dans ces festivals là que j’ai pu faire ma place. C’est aussi pour ça que je pense que je fais de la chanson française, c’est pas forcément pour la musique que je fais, mais aussi le parcours. Un rappeur il a un parcours de rappeur, c’est à dire qu’il va aller faire de l’improvisation sur des scènes ouvertes, des open mind, des radios particulières, parfois des clash, des chansons qui sont des egotripes; moi j’ai pas du tout ce parcours là. Je suis pas du tout un rappeur. J’ai un parcours de chanson et dans la chanson on peut mettre plein de choses : parfois des trucs plutôt rocks, parfois un peu plus saouls, plus rap…
Vous avez toujours fait de la musique avec plaisir?
Alors ça c’est une sacrée question… J’ai toujours fait de la musique avec plaisir, en tout cas largement plus que le faire sans plaisir. Mais parfois ça arrive, quand ça devient ton métier, il y a des fois où c’est un petit peu plus dur que d’autres. Ça reste un métier vachement intéressant et tu ne peux te plaindre de faire ce métier là, il est plein de petites choses extrêmement réjouissantes, régulières et fréquentes.
Et quand le plaisir s’en va, qu’est-ce qu’on fait?
Mais il ne s’en va pas longtemps, c’est juste parfois on est très fatigué on a pas forcément envie de jouer ce jour là, ou parfois on est énervé parce qu’on arrive pas à obtenir que ce que l’on veut. Et puis finalement parce que peut-être on est plus exigeant, c’est plutôt ce genre là d’énervement, j’en suis pas à là de faire de la musique, non non. Et si le plaisir s’en va, je sais pas comment on fait. On change, on change de vie, ça arrive. On trouve d’autres pôles d’amours.
« J’ai mis trois ans à l’écrire cet album, trois ans de ma vie où j’ai eu beaucoup de relief dans mes émotions, à la fois des grandes joies, aussi des grandes tristesses »
Le dernier album s’appelle 33 ans, c’est quoi cet album, ça retrace toute une vie? La vie de qui? D’où ça vient cette manière chronologique de faire?
Déjà c’est un album. C’est à dire que moi j’avais jamais fait d’album avant. Le premier album c’était à l’issue de 3 ans de tournée pleine et il fallait faire un album parce que tout d’un coup on avait signé en maison de disque. Et c’était facile, on a choisi les chansons qu’on jouait en tournée, les chansons du spectacle. Alors que là, il fallait créer les chansons, pour faire l’album. Il y a eu vraiment une vraie cohérence autour de ça, et moi du coup je me suis appuyé sur trois ans de ma vie, parce que j’ai mis trois ans à l’écrire cet album, trois ans de ma vie où j’ai eu beaucoup de relief dans mes émotions, à la fois des grandes joies, aussi des grandes tristesses. Parce que j’ai fait un enfant, j’ai perdu ma mère, tout ça à peu près au même moment. Donc ça a été pourvoyeur d’émotions qui m’ont fait écrire des chansons, c’était bien. Aussi l’album est jalonné de portraits, des gens d’âges différents à différents moments de leur vie, et ces portraits là c’est des poèmes, parce que j’avais envie d’écrire des poèmes et du coup j’en ai fait cinq. Ces cinq personnages de l’album, c’est un mélange de personnages que je peux connaître, que je trouve qui ont des traits communs.
Lorsqu’on va jusqu’à la moitié de la l’album, on arrive à “25 ans” la dernière date que vous avez vécue puisque vous aviez 33 ans. Cette première partie de l’album elle vous reflète? Et la seconde?
Complètement, même la seconde. Les personnages que je décris sont des personnages où il y a une partie de moi, mes craintes. Après j’espère pas que je vais finir comme celui de “54 ans” parce que son histoire c’est l’histoire d’un mec qui a une vie tout à fait normale, qui se laisse vivre comme ça et qui tout d’un coup perd son existence sociale étant mis à la retraite. J’ai pas du tout ce genre de vie, je mène une vie où je me pose des questions tout le temps, sur tout. En plus j’exerce un métier où à priori il n’y a pas vraiment de retraite, puisque ce sont des métiers tellement géniaux qu’on les exerce jusqu’à la mort. Par contre ce qui peut me correspondre dans cette chanson, c’est de mettre quelque chose en avant de réjouissant, en disant attention c’est pas que bien. J’aime bien ça, prendre une image d’Épinal, un classique, un cliché et dire “ah vous voyez c’est peut-être pas si nul que ça” ou alors “aussi bien que ça”, ça dépend du cliché. Là en l’occurrence le cliché de la retraite qui consiste à être le meilleurs moment de la vie, j’avais envie de dire “non pas du tout” c’est pas ça.
C’est la nuance que vous apportez aux stéréotypes?
Peut-être voilà! “De la nuance aux stéréotypes”, j’avais besoin de ça, c’est bien ça (prend en note dans son smartphone).
“il reste encore cet abonnement à nos deux noms qui ne veut plus rien dire »
Vous apparaissez sur le dernier album Il nous restera ça de Grand Corps Malade avec le titre “la résiliation”. Comment vous en êtes venu à cette collaboration?
On s’est rencontré une première fois lors d’un festival qui se passe à la montagne, où en fait on vient en famille, donc je suis venu avec mes enfants et lui aussi, on s’est bien entendu. Ensuite j’ai sorti mon album qui lui a bien plu je crois, du coup on s’est revu, et il m’a parlé de ce projet “Il nous restera ça”. Ça m’a tout de suite fait penser au fait que je suis abonné à Canal Plus. Cet abonnement, je le garde de l’époque où j’étais avec mon amoureuse précédente, du coup mon abonnement il porte le nom de cette fille avec qui je ne suis plus depuis longtemps. depuis je suis marié et j’ai des enfants donc ça n’a plus rien avoir. Mais toujours, de temps en temps, on m’appelle et on me dit “Oui bonjour monsieur Orenbuch” ce qui n’est pas du tout mon nom mais le nom de cette fille, “je suis Canal Plus, est-ce que vous voulez…” je dis non « tain je m’appelle pas monsieur Orenbuch c’est finit depuis longtemps cette histoire, et j’arrive toujours pas à changer de nom c’est la galère ». Il me demande de donner un acte de divorce, alors que j’ai jamais été marié avec cette fille ou un acte de décès…(rires) Donc j’essaie de résilier Canal depuis 4 ans mais c’est une galère : il faut le faire juste avant la date d’anniversaire, ça j’oublie tout le temps. Et si tu oublies il faut reprendre pour un an, donc en plus c’est cher, c’est une catastrophe. Bref, du coup ça m’a fait penser à ça, et on a fait la résiliation “il reste encore cet abonnement à nos deux noms qui ne veut plus rien dire ».
« J’ai mon propre projet qui porte mon nom et qu’il faut que j’aille défendre sur scène la plupart du temps. »
C’est important pour vous d’avoir un rapport avec le public? De voir finalement ce que votre musique signifie aux gens?
Moi je fais de la musique qui se joue sur scène. J’aime bien le studio, mais j’en fais pas beaucoup. Seulement quand je fais des albums. Après je ne suis pas un musicien de studio, un réalisateur d’album qui passe son temps en studio et qui enchaîne les projets, et que c’est génial et tout. Non moi j’ai mon propre projet qui porte mon nom et qu’il faut que j’aille défendre sur scène la plupart du temps. Et de temps en temps il y a aussi des passages en studio que j’apprécie énormément, c’est très agréable le studio aussi. C’est une autre forme d’esthétique, c’est d’autres outils, d’autres leviers d’émotions et c’est vraiment agréable. Avant j’avais très peur du studio parce que je croyais que je savais faire vraiment que de la scène, c’était le cas d’ailleurs, mais là depuis cet album je me sens plus à l’aise en studio, j’ai l’impression de faire des choses qui m’amusent plus. Genre j’aime bien cet album.
« Je pense que quand on fait de la musique, dans ce métier, il faut avoir la sensation de faire quelque chose de singulier »
« Gainsbourg, il y a plein de chansons où il parle »
Votre style de musique est particulier, il y a une volonté de se démarquer? Vous n’avez jamais eu peur de ne pas être “le format de musique qui passe sur les ondes?”
Je pense que si j’avais un style musical plus banal, j’aurais aucune chance d’avoir la moindre singularité. Je pense que quand on fait de la musique, dans ce métier, il faut avoir la sensation de faire quelque chose de singulier, ça peut être tout à fait faux, mais dans tous les cas il faut avoir cette sensation là. Il faut avoir l’impression que lorsqu’on fait quelque chose, on fait quelque chose de nouveau. Et puis transmettre une émotion qui existe, quand je fais quelque chose de banale, j’ai l’impression qu’il n’y a aucune émotion qui se transmet. En plus à chaque fois que je propose de la musique, je suis content. Après ça marche ou ça marche pas, mais moi je suis content! Mon style de musique ce n’est pas pour me démarquer, c’est exactement ce qui me vient, pour moi c’est très évident, très cohérent, il n’y a pas de complication. Je ne trouve pas ça compliqué ou pas facile à expliquer, je dis toujours que je fais de la chanson française et la chanson française elle est vaste. Je pense que si j’avais fait un grand tube, très chanson, très classique, on dirait que je fais de la chanson française et on ne me poserait jamais ces questions : “est-ce que c’est du rap? Du slam? de la chanson française?”, et comme les gens souvent écoutent mon album entier il se pose la question sur ce que c’est. En vérité, il y a plein de chanteurs de chanson française, plein d’albums où ils parlent. Je vais prendre des mecs immenses : Gainsbourg, il y a plein de chansons où il parle, Renaud, Fauve… Fauve on a jamais dit que c’était du slam hein? C’est de la pop-indé.
Ben Mazué prépare un nouvel album qui sortira courant septembre 2016.