Camille Giry forme avec Justine Lossa le duo Camille et Justine, suivi par plus de 330 000 personnes sur Instagram. Parallèlement, elle joue à travers la France son premier spectacle de stand-up, Moyenne. À l’occasion de sa venue au Spotlight de Lille, nous avons pu parler avec elle des réseaux sociaux, de son spectacle, ou encore de la place des femmes dans l’humour actuel.

@kobayashi

Comment ça va ?

Ça va plutôt bien ! Je commence à jouer mon spectacle hors de Paris et c’est quelque chose que j’aime bien. Je découvre le fait de jouer dans des salles où le public a juste envie de passer une bonne soirée. À Paris, les spectateurs passent juste une soirée supplémentaire, dans une salle de spectacle.

Il y a quelque temps, Lena Situation a été victime de commentaires grossophobes suite à des photos d’elle au Festival de Cannes. Tu as réagi sur Instagram, en indiquant que c’est une réaction à chaud, et ton post est devenu viral. Pourquoi as-tu souhaité réagir directement ?

Les commentaires qu’elle a reçus m’ont impacté, car la grossophobie est un sujet dont on parle assez peu. Depuis que je suis présente sur les réseaux sociaux avec Justine, je reçois des centaines de commentaires me disant que je suis grosse, que je mange de la mayonnaise, etc. Au départ, recevoir ces commentaires était dur à supporter. Désormais, je les écoute de moins en moins.

Sur les réseaux sociaux, des femmes de corpulence normale ne cessent de recevoir des messages leur disant qu’elles sont grosses. Le public n’est pas habitué, car les films, les séries et le mannequinat continuent de privilégier les corps taille 36. Ce qui est considéré comme du Plus Size est du 40 ou du 42, ce qui est la taille moyenne des Françaises. Ça n’a pas de sens.

Ce sujet me travaille. Je ne suis pas une femme obèse. Je suis peut-être en surpoids, mais visuellement j’ai une taille standard, sauf pour les réseaux sociaux.

J’aime beaucoup écrire, d’où le fait d’avoir rédigé ce post. Le fait qu’il ait circulé sur Instagram prouve que j’ai mis le doigt sur un sujet important.

Mais je pense qu’au-delà des messages horribles ou d’insultes, je pense que les messages disant « Trop bien de montrer des corps imparfaits ! » m’ont encore plus énervé. On ne peut pas accepter l’idée qu’une personne qui montre un corps taille 38 montre un corps hors normes.

Par ailleurs, nous venions de tourner un podcast avec Lola Dubini, et nous avions parlé de grossophobie. Le sujet continuait de me trotter dans la tête.

Avec Justine, comment faites-vous pour affronter les différentes vagues de harcèlement dont vous êtes victimes ?

Quand on reçoit des messages de haine, notre communauté prend notre parti. Nous avons donc moins besoin de nous défendre. On est soutenu, et on le sait. Quand on prend des paroles sur un sujet, on sait ce que l’on dit, et on y a réfléchi, même s’il n’est pas impossible de dire des bêtises.

Est-ce que vous avez songé à arrêter suite à certaines attaques ?

Avec Justine nous formons un duo. Il nous est arrivé de vouloir arrêter, mais pas en même temps. Notre sensibilité n’est pas la même sur tous les sujets.

Malheureusement, aujourd’hui, on nous parle plus du cyberharcèlement et des attaques que l’on endure que du fond de nos vidéos. Cependant, nous avons choisi d’en parler et de mettre en avant les commentaires haineux. Nous avons fait le choix d’y répondre. Dénoncer le harcèlement sur les réseaux sociaux fait partie de notre travail.

Aujourd’hui, quand une femme prendre la parole sur les réseaux sociaux, elle est cyberharcelée, et quand elle est interviewée ou mise en avant, on lui demandera de parler de ce sujet. J’encourage les journalistes/intervieweurs à évoquer le fond.

Quel rapport as-tu avec l’influence et la célébrité ?

Étant donné que j’ai acquis une notoriété grâce au projet Camille et Justine, je n’ai jamais réellement considéré que c’était moi. Quand on m’arrête dans la rue, on me renvoie directement au duo, à cette entité. Je perçois davantage le côté influence lorsque je fais des posts sur mon compte Instagram personnel. De manière générale, j’ai du mal à me dire que j’inspire les gens, même si nous recevons des messages qui nous le disent. D’ailleurs, on a tendance à oublier les messages bienveillants, car les messages méchants prennent le dessus psychologiquement.

Ressens-tu une certaine pression liée à ce succès sur les réseaux sociaux ?

Quand je prends la parole, je ne cesse de répéter qu’il s’agit de mon avis. De plus, j’évite d’aborder des sujets que je ne connais pas très bien. J’ai à cœur de traiter des sujets qui me touchent, avec des sources et des données qui ne sortent pas de nulle part.

Voir le monde à travers le prisme du genre et des discriminations n’est pas marrant, mais il est impossible de faire marche arrière.

J’ai déjà reçu des messages de personnes heureuses de venir à mon spectacle et de se retrouver entourées de gens qui pensent de la même manière. Être dans une safe place le temps d’une soirée, ça peut vraiment faire du bien.

Comment sont choisies les thématiques défendues à travers vos vidéos ?

Avec Justine, on a les mêmes valeurs, et on a évolué dans le féminisme conjointement. Notre histoire sur les réseaux sociaux a débuté en 2016, avant #MeToo, et depuis beaucoup de choses ont changé. Des débats que l’on peut avoir dans notre quotidien, chacune de notre côté, peuvent être source d’interrogations.

Est-ce que ton spectacle est la continuité logique de ce que tu fais sur internet ?

J’ai toujours fait du théâtre. Parler de moi sur scène, c’était parler de mon engagement féministe. Mes propos se sont donc rapprochés de ce que je dis sur Camille et Justine ou sur mon compte Instagram personnel.

Comment êtes-vous parvenues à concilier le projet commun de Camille et Justine, et vos projets personnels ?

Le projet Camille et Justine n’a jamais été un plein temps. Justine a toujours créé ses contenus personnels en parallèle, comme j’ai pu le faire en créant ce spectacle.

Avez-vous songé à créer un spectacle commun ? Étant donné que vous êtes toutes les deux comédiennes.

On y a déjà réfléchi, car on nous en a parlé, mais on a toujours refusé. Justine s’est éloignée du théâtre ces dernières années, et j’avais toujours l’envie d’écrire mon spectacle de stand-up.

Je ne dis pas que nous ne le ferons jamais, et puis, on passe déjà beaucoup de temps ensemble, peut-être qu’après ça fera trop.

Peux-tu nous parler de la genèse de ce spectacle ?

Écrire un one woman show était un de mes rêves. Je me souviens avoir regardé le spectacle de Florence Foresti quand j’avais 15 ans et mes potes m’ont dit « On dirait toi ! ».

Je ne voulais pas faire jouer un spectacle écrit à l’arrache. J’ai attendu d’être prête. Mes 30 ans m’ont fait comprendre qu’il fallait que je m’y mette.

Pendant le premier confinement, j’ai récupéré des bouts de notes qui traînaient sur mon téléphone. Je les ai mis bout à bout, et ce qui m’a permis de sortir une vingtaine de pages.

La première fois que je suis montée sur scène pour jouer une heure, c’était en février 2022. Depuis, de nombreuses choses ont été réécrites.

Comment s’est passée cette première fois ?

Elle s’est très bien passée. Ma communauté est venue me voir, et je pense que j’avais déjà un bon matériel pour jouer pendant une heure. Cependant, je m’attendais à une grosse claque d’émotions, mais ça n’a pas été le cas. J’ai peut-être eu trop d’attentes de ce premier passage. Mais j’ai quand même trouvé ça cool !

Quel type d’humour te plaît aujourd’hui ?

J’ai grandi avec Florence Foresti, mais je ne me retrouve plus vraiment dans ses derniers spectacles. J’aime beaucoup l’énergie que dégage Baptiste Lecaplain sur scène.

Une nouvelle vague d’humoristes féminines, plus queers ou racisées arrive et c’est une bonne chose. C’est plus vers ce pan de l’humour que je souhaite me tourner, même si je suis une femme blanche, cisgenre et hétérosexuelle.

Beaucoup de monde n’allait pas voir du stand-up, car c’était oppressif. Cette nouvelle vague d’humoristes prouve qu’il est possible de rire en étant non-oppressif. En parlant de cette nouvelle génération, je pense à Tahnee, Mahaut Drama ou Lou Trotignon. Cette relève est excellente.

Est-ce que tu as fait un tour des comedy clubs parisiens, comme ont pu le faire les humoristes que tu viens de citer ?

Je fuis un peu les comedy clubs. Je me sens légitime quand je joue mon heure de spectacle, mais si je dois jouer 5 ou 10 minutes, je ne me sens pas à la hauteur. Je ne veux pas me forcer à faire des plateaux, car je n’ai pas envie d’être le clown et de faire rire des gens à mille lieues de mes valeurs. Quand je joue mon spectacle d’une heure, je sais que le public a choisi de venir me voir.

Après, certains passages de mon spectacle peuvent être pris comme des sketchs, et il m’est arrivé de participer à des plateaux féministes.

« Malheureusement, la société actuelle fait que les femmes sont moyennes plus rapidement que les hommes. Si j’étais un homme, je ne me serai probablement pas trouvé moyen. »

En référence au titre de ton spectacle, est-ce que tu considères moyenne, ou est-ce que tu es dans la moyenne ?

À la base, je me considère moyenne, mais généralement, les personnes qui viennent me voir m’apprécient et ont du mal à comprendre pourquoi je me considère comme moyenne. Malheureusement, la société actuelle fait que les femmes sont moyennes plus rapidement que les hommes. Si j’étais un homme, je ne me serai probablement pas trouvé moyen.

Comment as-tu choisi les personnes avec qui tu travailles ?

Pour l’écriture, je travaille avec un de mes amis les plus proches, à savoir Rabah Benachour. On travaille ensemble depuis plusieurs années. Le fait que ce soit un homme m’a permis de créer une version de spectacle qui ne soit pas agressive. Pour la mise en scène, j’ai été accompagnée par Alexandra Bialy, qui a mis en scène d’autres spectacles de stand-up comme celui d’Alex Ramirès.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter ?

Que ce projet de spectacle perdure, et que le public continue à venir. J’aimerais que mon public soir un peu plus mixte. J’aimerais que les hommes entendent ce que je raconte, car le spectacle a également été pensé pour eux, d’une certaine façon.

Comment est-ce possible de faire que le public soit plus mixte ?

Quand je me sentirai plus légitime, je convierai la presse. Cependant, je sais que ça ne suffira pas, car les journalistes diront que je fais un spectacle féministe et engagé, si ce n’est radical et en colère. Par ailleurs, de base, les hommes ne vont pas voir des femmes en spectacle, sauf si c’est pour accompagner leur campagne.

Je ne souhaite pas mentir sur le contenu de mon spectacle. Les hommes doivent arrêter d’avoir peur du mot féministe.

Des plateaux d’humour, féminins ou queer voient le jour, et c’est une excellente chose. Aujourd’hui, si je participe à un plateau d’humoristes, je refuse qu’il n’y ait pas la parité. Je n’ai pas envie que lorsque je monte sur scène, le public se dise que je représente une catégorie de gens.