Après avoir fait sensation dans de nombreux festivals internationaux avec son court-métrage T’es morte Hélène, Michiel Blanchart sort son premier long-métrage, La nuit se traîne, en salles le 28 août. Entretien.

Quelle est la genèse de La nuit se traîne ? Une continuité directe de T’es morte Hélène ?

J’ai toujours voulu explorer les genres de films qui m’ont donné envie de faire du cinéma. La nuit se traîne est en quelque sorte une réaction à T’es morte Hélène, un court-métrage beaucoup plus léger. Cette fois, j’avais envie de quelque chose de plus viscéral, intense, et ancré dans notre époque. Dans les deux cas, il s’agit de lettres d’amour au cinéma. Je voulais rendre fier l’enfant que j’étais, celui qui rêvait de faire des films en regardant les œuvres de Sam Raimi, Michael Mann ou Steven Spielberg.

Avez-vous ressenti de la pression en tournant votre premier long-métrage, surtout après le succès de T’es morte Hélène ?

Le succès du court-métrage a ouvert de nombreuses portes pour la réalisation de La nuit se traîne. Pour un premier long-métrage, avoir Gaumont à nos côtés et Romain Duris au casting est une véritable chance. J’ai eu l’opportunité de faire un premier film bien encadré, ce qui entraîne forcément une certaine pression. Réaliser un long-métrage, c’est un autre rapport au tournage, au temps, et à la préparation.

Avez-vous rencontré des difficultés pour convaincre des producteurs avec un tel scénario ?

J’ai travaillé avec les mêmes producteurs que pour le court-métrage. Assez ironiquement, ils m’avaient donné pour mission d’écrire un petit film à tourner rapidement, car nous travaillions en parallèle sur un projet de science-fiction qui peinait à décoller. En écrivant le scénario, je me suis rendu compte que La nuit se traîne n’était pas un si petit film que ça. Aujourd’hui, je pense qu’il y a un véritable intérêt pour le cinéma de genre en Europe.

Comment avez-vous mis en scène cette ambiance un peu « poisseuse », au sein de la ville de Bruxelles ?

Je trouve que Bruxelles s’y prête bien. C’était important pour moi de tourner dans la ville où je vis et que j’aime. Je me suis permis de la fantasmer et de la filmer comme New York l’a été dans les films que j’admire. Le fait de bien connaître la ville a facilité les choses. J’ai écrit le scénario en pensant directement à certains quartiers et décors spécifiques. Pour les textures, un camion-citerne nous suivait pour mouiller les sols et les murs, et nous avons beaucoup travaillé sur les éclairages. L’équipe déco ajoutait des graffitis et des poubelles. Je voulais que la ville soit bouillonnante, vivante, avec cette impression que tout peut arriver.

Comment avez-vous découvert Jonathan Feltre, qui interprète Mady ?

Je l’ai découvert au festival de Strasbourg, dans le court-métrage Soldat noir. J’étais en pleine période de casting, alors j’ai voulu le rencontrer. Pour ce rôle, nous avons auditionné une centaine de comédiens belges et français. Jonathan se démarquait vraiment, et j’ai été immédiatement rassuré par sa capacité à s’approprier ce que j’avais écrit.

Et pour Thomas Mustin, dit Mustii ?

Nous avions failli travailler ensemble par le passé. Il n’a pas fait d’audition pour ce rôle, car je connaissais bien son travail et je lui faisais confiance. Il a une palette de jeu très large, n’a peur de rien, et est extrêmement généreux. Humainement, il est adorable, doux et gentil, à l’opposé de son personnage.

Romain Duris dans le rôle de Yannick, était-ce votre idée ?

Pour ce personnage, nous savions dès le départ que nous voulions un acteur connu. Cependant, je ne cherchais pas un méchant avec une tête effrayante, mais plutôt une sorte de chef d’entreprise assez calme, qui se contente de faire son business. Romain Duris dégage quelque chose de très sympathique. J’avais envie de travailler avec lui, et il s’est rapidement engagé sur le projet après avoir lu le scénario.

Comment interprétez-vous la dimension politique de votre film, notamment le mouvement Black Lives Matter ?

La nuit se traîne est avant tout un film de divertissement, mais cela ne m’empêche pas d’aborder le monde dans lequel on vit. Mélanger cinéma et actualité peut être un peu tabou, mais il est important d’utiliser la force évocatrice du cinéma pour raconter des histoires qui nous touchent. J’ai écrit le film en 2020, alors que le mouvement prenait de l’ampleur en Belgique. La question des violences policières est un débat de société crucial et toujours d’actualité.

Avez-vous eu des craintes en intégrant ce sujet à votre récit ?

La création artistique est toujours accompagnée de doutes et d’inquiétudes. La nuit se traîne est avant tout un film sur un personnage et son histoire. Il a une portée politique, mais ce n’est pas un film politique ou à charge. Mon intention était de réaliser un film sincère.

Que représente la chanson La nuit n’en finit plus de Pétula Clark pour vous ?

C’est l’une de mes chansons préférées. Elle incarne la mélancolie, la solitude et un certain romantisme. J’avais besoin de cette chanson pour caractériser mon personnage. Je suis surpris par l’impact de cette chanson ; elle résonne encore chez les jeunes. Jonathan ne la connaissait pas, mais il l’a trouvée très actuelle.

Avec quel cinéma avez vous grandi ?

Mon premier souvenir cinématographique est Jurassic Park de Steven Spielberg, sorti en 1993, l’année de ma naissance. Le cinéma américain grand public a éveillé en moi ce désir de faire des films. Je suis très inspiré par le cinéma américain, mais aussi par le cinéma sud-coréen. Le mélange des genres me passionne, et il y a une modernité à trouver dans cette approche.