Dans Anti-Squat, son second long-métrage en salles le 6 septembre 2023, Nicolas Silhol aborde le sujet de la protection par l’occupation. Louise Bourgoin y interprète Inès, une property manager.
Corporate, votre précédent film, et Anti-Squat, se rejoignent. Ces deux longs-métrages racontent l’histoire d’une femme confrontée au monde carnassier de l’entreprise et qui fait face à des problèmes éthiques.
Effectivement, ce sont des personnages qui doivent jouer un rôle. Dans Anti-squat, les enjeux moraux sont posés, avec davantage de rebondissements que dans Corporate. J’avais filmé des bureaux vivants, et là je filme des bureaux vides. Corporate était un peu le climax ou l’apogée d’un certain fonctionnement d’entreprise, d’un certain type de management. Désormais, ce management a explosé. Les immeubles de bureaux se vident avec le développement du télétravail et il n’y a plus réellement de règle. C’est le constat que j’ai fait.
Mais outre les similitudes, il existe des différences. Avec Anti-Squat, je m’intéresse à la question du logement par le biais du travail. Le logement est une question prépondérante de nos vies. En faisant mes premières recherches avec militants du DAL, Droit au Logement, j’ai découvert l’existence de l’anti-squat, à savoir la protection par l’occupation, qui existe depuis très longtemps en Angleterre et aux Pays-Bas.
En France, en 2018, cette protection a été inscrite dans la loi ELAN à titre expérimental, ce qui m’a interpellé. 5 ans plus tard, la loi anti-squat est votée à l’Assemblée Nationale. Ce dispositif n’est donc plus expérimental. Toutefois, la loi anti-squat est plus large que cette simple mesure. Elle renforce la répression des squatteurs et facilite les procédures d’expulsion. La protection par l’occupation en est seulement un des volets.
Quel est votre avis sur cette loi, et comment l’avez-vous intégré au film ?
Anti-Squat est un film politique qui s’ouvre sur un carton d’extrait de loi. Cette loi, je la conteste mais j’ai du mal à le dire. Je souhaite davantage poser des questions à travers l’histoire que je raconte, en interpellant les gens sur ces enjeux-là, plutôt que de la contester ouvertement. Le président de la Fondation Abbé Pierre, qui nous accompagne, parle de loi scélérate. Il attend le moment où il va pouvoir revenir sur cette loi. Cette loi privilégie le droit de propriété au détriment du droit au logement. En France, 4 millions de personnes sont dans une situation de mal logement, et de manière plus générale, 14 millions de personnes sont dans une situation fragile par rapport à leur logement.
Je ne pointe personne du doigt, je ne veux pas qu’il y ait de grand méchant à ce sujet. L’idée de la protection par l’occupation pourrait être une bonne idée, mais elle est mal amenée, avec un risque de dérives.
« Le président de la Fondation Abbé Pierre, qui nous accompagne, parle de loi scélérate. »
Avez-vous rencontré des problèmes de financement ou pour trouver des producteurs ?
Le film a été difficile à financer. Je ne bénéficie pas des aides du CNC car mon cinéma est trop social. Le financement a été compliqué, mais pas forcément pour des raisons politiques, là où j’avais rencontré des difficultés politiques pour Corporate.
Anti-squat est un film dur. Peut-être qu’il inquiétait les financiers. Le film a été réalisé avec des moyens restreints et nous nous sommes battus pour le faire.
Comment avez-vous choisi le décor du film, à savoir ce bâtiment composé de bureaux vides et d’une serre en son milieu ?
J’étais attiré par les lieux abandonnés dans des zones d’immeubles de bureaux qui sont peu à peu délaissées. Le côté ruine moderne m’attirait, avec des potentialités visuelles et sonores à exploiter. Nous avons fait un gros travail de repérage. Le jardin intérieur, qui s’apparente à une petite jungle, m’a tout de suite frappé, comme si la nature reprenait ses droits. Il y a presque un côté un peu dystopique, comme s’il s’agissait de la fin d’une ère. Il y a quelque chose d’étrange et d’inquiétant.
Pendant des années, des salariés se sont rendus dans ce bâtiment pour y travailler. Aujourd’hui le lieu est vide et abandonné. On a tourné pendant un mois dans ce décor. C’était très confortable en termes de conditions de tournage, tout en étant assez étrange.
Ce bâtiment pourrait presque avoir un pouvoir sur les gens qui y vivent, à la manière d’une maison hantée. Il y a presque un aspect fantastique.
Quand j’ai commencé à écrire ce film, je le pensais un peu comme un film d’anticipation immédiate. J’ai écrit pendant le confinement, durant lequel nous nous interrogions sur le monde de demain, le monde d’après, que je pensais de manière dystopique. Dans le film, le décor est un personnage à part entière. Anti-Squat est un film moins naturaliste que ne pouvait l’être Corporate.
Le scénario est coécrit avec Fanny Burdino. Comment vous êtes-vous réparti l’écriture du scénario ?
Nous avons beaucoup discuté. Fanny Burdino a davantage écrit sur le scénario d’Anti-squat que sur celui de Corporate. J’avais envie de creuser davantage le personnage féminin, d’où le fait de faire appel à une scénariste. Dans Anti-Squat, l’intime du personnage principal est plus développé et plus creusé dans que dans Corporate. J’avais vraiment envie de raconter cette histoire entre une mère et son fils, avec des choix qui se font sous le regard de ce dernier. Le travail avec Fanny était précieux pour cette raison.
Grâce à ce rôle, vous permettez au public de découvrir une nouvelle facette du jeu d’actrice de Louise Bourgoin, qui forme un excellent duo avec Samy Belkessa, qui interprète son fils.
Je l’avais repérée pour ses rôles dramatiques comme dans Je suis un soldat, La Religieuse ou encore Hippocrate. Louise Bourgoin a une économie de jeu très forte, avec une intensité et une intériorité étonnante. Je trouvais intéressant de travailler un personnage dans le contrôle et qui ne peut pas se laisser abandonner à ses émotions. La force intérieure du jeu de Louise Bourgoin me semblait aller dans ce sens. Cependant, il arrive au personnage de craquer. Accepter ce rôle est un choix courageux de la part de Louise. Ce n’est pas un rôle facile. C’est une actrice audacieuse et engagée.
Est-ce un choix assumé que les seconds rôles ne soient pas interprétés par des acteurs “connus” ?
Il faut des acteurs connus pour faire venir les gens dans les salles. Il existe donc un enjeu financier. Louise Bourgoin porte le film. Pour les seconds rôles, je n’imaginais pas retrouver des acteurs célèbres, d’autant plus que le métier d’acteur est précaire, comme peuvent l’être les personnages. Deux jeunes viennent de l’école Kourtrajmé où j’interviens, d’autres viennent plus du théâtre. Je souhaitais réunir des acteurs d’horizons différents, et proches de leur personnage. Dans le cinéma français, je ne comprends pas pourquoi les rôles secondaires sont systématiquement accordés aux mêmes acteurs.