Le second long-métrage de Thomas Cailley, Le règne animal, est sorti en salles le 4 octobre 2023. Romain Duris y interprète François, dans un monde en pleine mutation.
Votre nouveau film, Le règne animal, est un film atypique dans le cinéma français.
Thomas Cailley : J’espère ! C’est un film particulier car il est au carrefour de plusieurs genres. C’est un film sur la relation entre un père et un fils, mais c’est aussi un film fantastique ou d’aventure, avec des séquences d’action et de comédie. Nous avions de réelles ambitions, avec des conflits extériorisés. Dans le film, nous voulions montrer la mutation, et non la suggérer, avec un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur. Le film a très rapidement pris une dimension spectaculaire qui nous a demandé du temps.
Qu’est ce qui vous intéresse dans ce principe de mutation ?
T.C. : J’avais l’impression que nous pouvions greffer cette thématique dans la France d’aujourd’hui, sans se catapulter dans un monde théorique ou un futur lointain. La crise sanitaire nous a donné quelques pistes d’écriture, avec cette transmission de l’homme à l’animal.
Mais comme je l’évoquais, le mouvement de l’intérieur vers l’extérieur est précieux car il permet, dans une même histoire, de tracer plusieurs dimensions, qu’elle soit intime ou physique. Se pose également la question du rapport avec son père, et de l’émancipation. Dans le film, Émile apprend de son père, mais François évolue énormément au côté de son fils. Enfin, la dernière excroissance de cette mutation est la transformation de la société, avec différents instincts qui se réveillent, que ce soit positif ou négatif. La mutation animale permet de regarder la société dans son ensemble.
L’origine des mutations n’est jamais réellement expliquée. Avez-vous songé à le faire ?
T.C. : Une médecin indique qu’il s’agit d’un phénomène génétique, ce n’est pas viral. Mais savoir pourquoi cette mutation est arrivée, ce n’est pas intéressant. Très rapidement, nous nous sommes dit que nous n’allions pas explorer la piste de l’explication de la mutation, sans pour autant gêner la trame narrative.
Romain, pour quelles raisons avez-vous accepté ce projet ?
Romain Duris : L’écriture de Thomas m’a tout de suite plu, et puis, le scénario est incroyable. La question de l’adaptation de l’homme est bouleversante, avec la question de l’adaptation des jeunes. Ce sont des questions que l’on se posait lors de la crise sanitaire et des confinements. J’ai trouvé ça génial de faire un zoom sur cette jeunesse dans le film, et la manière dont ils s’accaparent le monde qui change. Le scénario est très juste et très émouvant.
Avec ce film, avez-vous eu le sentiment d’exprimer quelque chose, dans votre jeu, que vous n’aviez pas exprimé auparavant ?
R.D. : Ma façon d’être père dans le film est plus dense et plus mature que ce que j’avais pu faire jusqu’à maintenant. Le rapport qu’à mon personnage avec son fils est très intense, avec une réelle évolution.
En préparant le film, je me suis demandé ce que je pouvais offrir à Thomas. J’ai cherché à être bien vide au départ afin de me remplir de tout, que ce soit des mots de Thomas dans la direction d’acteur, ou du jeu de Paul Kircher. Il fallait que ce soit le plus naturel, en s’ancrant dans l’époque actuelle.
T.C. : Romain a été un acteur hyper disponible, même entre les prises. Le tournage a été très physique, et Romain a été présent de tout son corps et de toute son âme
Pour quelles raisons avez-vous choisi Paul Kircher ?
T.C. : Quand j’écris, je n’ai aucune idée des acteurs qui interpréteront les personnages. Pour le personnage d’Émile, je pensais que ce serait difficile de trouver l’acteur parfait. Finalement, ça a été extrêmement simple. Paul est le premier à être entré dans la salle de casting, et j’ai tout de suite su que c’était le bon. J’ai vu 200 jeunes, mais il était largement au-dessus. Il m’a bouleversé car il est capable de tout faire, avec une grande force intérieure, presque sauvage. C’est un acteur qui est capable d’avoir un peu tous les âges.
Le duo que Paul forme avec Romain est splendide, avec une vraie fusion entre les deux. J’avais réellement l’impression de voir un père et son fils, avec une intensité qui n’a fait qu’augmenter au fil du tournage.
R.D. : Chaque séquence était intense à jouer, avec de nombreuses émotions, parfois contradictoires. On s’est donné la possibilité de jouer les scènes de différentes manières.
« Il existe peu de films français de créatures. Au départ, en le proposant à mes partenaires de création, j’ai pensé qu’ils allaient tous être fous de joie. Ils ont tous dit non. »
Le film porte un vrai message politique. Pourquoi passez-vous par le cinéma de genre et le fantastique pour le délivrer au spectateur ?
T.C. : Les interprétations sont diverses. Pour une spectatrice, le film traitait de la question psychique. D’autres personnes ont soulevé des questions environnementales. Le genre permet d’apporter une porosité au film afin de laisser la liberté aux interprétations, et de rendre plus universelle la question de la différence. L’universalité ne serait pas possible dans un simple film social.
Mais en faisant le choix du cinéma de genre, vous ne faites pas dans la facilité.
T.C. : Il existe peu de films français de créatures. Au départ, en le proposant à mes partenaires de création, j’ai pensé qu’ils allaient tous être fous de joie. Ils ont tous dit non. Parallèlement, ces mêmes personnes travaillaient pour des grosses productions américaines ou asiatiques, et réalisaient ce genre de film.
Quand nous avons eu les financements, il y a eu une effervescence car c’était la première fois qu’ils travaillaient de cette manière sur un film français. En France, nous avons les meilleurs dans toutes les compétences, mais ils travaillent tous à l’étranger. Par exemple, Sylvain Despretz, story-boarder du film, travaille avec Ridley Scott.
Comment avez-vous créé les créatures ?
T.C. : Lors de la phase de design, nous avons travaillé avec un auteur de bande dessinée, Frederik Peeters. Il a développé tout un bestiaire autour du scénario, et j’ai sélectionné ce qui m’intéressait dans ce travail. Ensuite, les characters designers ont proposé des dessins plus anatomiques et plus techniques. Parallèlement, j’ai commencé le casting, et nous nous sommes inspirés de personnes ayant des corps particuliers ou des compétences particulières. J’avais à cœur de créer les créatures à partir de physiques réels. Le travail avec le story-boarder a été important afin d’anticiper le cadrage et les mouvements de caméra.
Ensuite, nous avons réfléchi à la fabrication des créatures. Nous avons réalisé un grand atelier collectif avec de nombreux corps de métiers pendant un mois. Ainsi, des décisions ont été prises. Nous souhaitions toujours partir du corps de l’acteur, en s’interdisant l’utilisation de fond vert et de capteur. Tout a été tourné en décors réels. Dans le film, les plans sont réalisés avec plusieurs technologies. C’est un travail hybride. Mêler les technologies permet que l’œil du spectateur ne s’attarde pas sur une technologie unique.
Est-ce que la dimension effrayante qui englobe les créatures a directement été souhaitée ?
T.C. : Tout à fait, car l’enjeu est que le spectateur change de regard sur les créatures tout au long du film. Cet enjeu implique que l’on en ait peur au début. Le personnage d’Émile rejette les créatures, pour aller jusqu’à l’émerveillement. Une spectatrice m’a dit « J’ai eu peur des créatures au début du film, et j’ai eu peur des hommes à la fin du film », ce qui est plutôt un bon pitch.
Comment qualifieriez-vous la relation entre François et Julia, le personnage interprété par Adèle Exarchopoulos ?
T.C. : François éprouve un amour inconditionnel pour son épouse. Julia est une femme en décalage complet entre sa vie personnelle et la fonction qu’elle exerce. Elle a envie d’être utile, et elle est touchée par François et son fils. Leur rapport est fraternel. Ils se comprennent. Ce sont deux personnages marginaux qui font l’expérience de la singularité de leur cas.