Le retour qui a été le plus marquant sur la scène rock française, ces dernières années, est sans doute celui du groupe breton Matmatah. Avec un nouvel album et une tournée inattendus, ceux qui ne comptaient pas reformer le groupe il y a quelques années ont du se rendre à l’évidence : les « revenants » attirent les foules. Lors du Vercors Music Festival, Pedromadaire a pu avoir une interview avec un vieux de la vieille, Eric Digaire (basse) et un nouveau venu, Julien Carton (claviers).

Pedromadaire : Pour Matmatah, c’est un retour qui est réussi sur scène.

Matmatah : Eh beh, oui. On peut pas dire le contraire, il y a des gens qui viennent nous voir, on a une tournée qui va nous emmener jusqu’au 9 décembre. La tournée de printemps a été « sold out » super rapidement, on est les squatteurs de l’été pour les festivals, on en a fait 27, je crois.

P : Ça vous fait du bien de revenir ?

Tristan Nihouarn au chant et Eric Digaire à la basse

M : Oui, on peut faire preuve de nonchalance et dire : « Bah ouais c’est cool ». Mais non, c’est un vrai plaisir parce que l’album est très bien reçu et qu’il y a du monde dans les salles. Il y a aussi un nouveau public, on a été très surpris sur les premières dates parce qu’il y avait énormément de jeunes. Et puis à la fin des concerts, on se regardait en disant : « Mais en fait, ils n’étaient pas né quand on a arrêté » (rires).

On a des chansons qui traverse les époques et donc une nouvelle génération. Et pourtant, dieu sait que la nouvelle génération peut être difficile à capter parce que c’est devenu un petit peu la culture de l’immédiateté chez tous les jeunes. Il y a un titre qui sort en radio et qui fait du buzz pendant dix jours et puis c’est un autre titre, et un autre titre, et un autre titre… Nous, on a l’impression qu’on a une relation plus saine avec le public, c’est-à-dire que je ne sais pas qui vient voir mais il y a truc presque qui touche à la fratrie. On sent un vrai soutien, puis on voit dans leur regard, ils sont très contents d’être là, très contents de venir faire la fête avec nous et je pense qu’ils voient qu’on est pas là pour vendre des melons. (rires)

P : Il y a eu un déclic avant de sortir l’anthologie en 2015 ? Vous vous êtes dit : « Et si on remontait sur scène » ?

M : Ça, c’est vraiment arrivé très tard en fait. C’est-à-dire qu’en 2008, on a arrêté mais c’était pas une pause. On avait fait le bilan de tout ce qu’on avait fait depuis 1995, enfin 1993 avec la rencontre des deux premiers guitaristes : Stan et Sami. Après le truc est allé très très vite, c’était très dense. On a fait plus de 1 200 concerts. On a fait tout ce qu’on voulait faire, des tournées à l’étranger, en Australie, en Inde, en Chine. On a fait des plateaux-télé, des radios, des gros festivals, des tournées en salle.

Ça fait […] plaisir de coller à Brest des affiches de Matmatah à l’Olympia pour faire rager un peu.

On voulait arrêter avant de ne plus avoir la sincérité de ce que l’on faisait. Donc on s’est arrêté. Par la force des choses, on a un peu arrêté de se voir parce qu’il y avait moins de rendez-vous obligés comme les répétitions par exemple.

Eric Digaire

Quand on a repris contact, on s’est aperçu qu’on avait déjà envie d’être ensemble. Quand on se voyait sur deux ou trois jours pour aller fouiller dans les cartons d’archives ou aller travailler sur le coffret. Bah, on se manquait quand on partait. L’envie humaine était là, nos familles étaient mortes de rire parce qu’elles nous disaient que l’on arrêtait pas de s’appeler alors que l’on ne s’était pas vu depuis des années. Et puis, on sentait que tous on avait cette envie de passer du temps ensemble. Du coup après on s’est dit qu’on allait voir si on a des sujets de conversation qui pourraient devenir des thèmes de chansons.

Donc on s’est fait des soirées, des repas et on parlait de tous ce qu’on avait vécu aussi chacun depuis huit ans. On a trouvé des terrains d’entente sur certains thèmes de chansons, sur certains questionnements sociétaux. Et puis, on a décidé de reprendre les clous pour essayer de voir si on a des chansons qui allaient arriver. Et une fois qu’on a eu suffisamment de chansons, on s’est tourné vers nos entourage en disant : « Bon, on va arrêter de vous mentir. Oui je pense que l’on va y retourner. » (rires).

Je pense que [le public] voi[t] qu’on est pas là pour vendre des melons

Et puis, on s’est tourné vers le management et les tourneurs en leur disant qu’on a envie et qu’on est prêt à aller faire un album pour savoir comment ça pouvait se passer. De manière assez jubilatoire et espiègle, comme on a notre propre maison de disque et qu’on est notre propre boîte de production, comme on est indépendant, on annonce deux dates : une à l’Olympia et l’autre au Vauban à Brest. Donc les gens ont pu lire sur une affiche que un : Matmatah existait encore, deux : (en riant) ça repartait en concert. Donc il y avait un questionnement, en disant : « Mais qu’est ce que c’est que cette affiche ? Ça date de quand ? » Et puis après on a annoncé l’album. De toutes façons, le cahier des charges était simple, on ne repartait que pour défendre un nouvel album, c’est toujours comme ça qu’on a fait. On allait pas remonter sur scène pour des auto-jubilés pendant 25 ans. Certains groupes le font, mais nous le frisson vient du fait de présenter nos nouveaux bébés.

Tristan Nihouarn

P : Le fait d’annoncer tout de suite l’Olympia, c’était juste comme ça, pour rire ?

M : Ça fait partie du plaisir de coller à Brest des affiches de Matmatah à l’Olympia pour faire rager un peu. (rires) Normalement, il devait y avoir cette espèce de dualité, quand on s’est dit : « OK, on y va ! », il fallait savoir comment on l’annonçait. Donc soit on faisait un communiqué de presse comme ça, soit on mettait un truc sur Facebook, on ne savait pas trop. Donc, est venue l’idée de pourquoi pas annoncer un Olympia sec comme ça, sans aucune promo, sans rien. Et de faire le pendant, avec « l’Olympia » brestois qui est le Vauban, un club-concert. L’idée, c’était d’afficher à Brest : « Matmatah en concert à l’Olympia à Paris » et d’afficher à Paris : « Matmatah en concert au Vauban à Brest ». Le problème, c’est que le Vauban s’est rempli en 3 heures et que l’Olympia s’est rempli en 6 jours, donc on a même pas eu le temps d’imprimer les affiches que c’était déjà complet. (rires).

C’est un peu tombé à l’eau mais on avait un peu l’impression d’être des gamins qui vont sonner aux portes et qui se barrent en courant. (rires) Nous on colle des affiches, parce qu’en plus, c’était des affiches sauvages, on est pas passé par un réseau d’affichage, on a trouvé des potes, on leur a donné un seau de colle et on leur a dit d’aller placarder ça partout. Il y avait énormément de questions : « C’est un fake ? Il y a rien, il y a pas d’album annoncé, pas de promo. »

P : Ça sortait de nulle part…

M : C’était une façon espiègle de revenir.

P : Il y a « Marée Haute » qui est le « hit » de cet album qui a pris une tournure très actuelle ces derniers temps. Vous vous y attendiez ?

M : On voulait le sortir parce qu’on savait qu’on était en période de campagne électorale. On a tous vécu en silence puisqu’on était plus au devant de la scène, au moment de Sarko, au moment de Hollande, au moment de toutes les affaires qu’il y a pu y avoir dans tous les sens. Quand on a passé du temps ensemble pour savoir de quoi on allait parler dans cet album, puisqu’on est pas capables d’écrire sur nos nombrils ou sur une paire pompes, on s’est retrouvé avec une espèce de ressenti citoyen mais on avait l’impression de le partager avec la totalité de la France, c’était : « On en a marre d’être représentés par des gens qu’on ne trouve pas dignes de le faire. »

On sait tous que prendre des responsabilités politiques, ça doit donner un shoot d’adrénaline énorme et que comme n’importe quel junkie, on est prêt à tout pour avoir de nouveau ce shoot. Donc on est prêt à faire passer en douce des contrats, à faire ceci ou faire cela. Donc on a fait une chanson la dessus mais ça parlait de tout le monde, de tout le temps et de toutes les affaires qu’il y a pu avoir, que nous on connaît depuis qu’on a pris des cours d’histoire et ce genre de choses. Il s’avère qu’au moment où on a sorti « Marée haute » en single, on a des attachés de presse de luxe parce qu’on a eu l’affaire Fillon, il y a eu des tonnes de trucs qui sont juste révélateurs de ce que c’est depuis des années. On arrive pas Président de la République sans marcher sur quelques mains ou quelques têtes.

P : On commence l’album avec un titre assez pessimiste et on le finit avec une touche d’espoir. C’était important de le construire comme ça de manière à contre-balancer ?

M : C’est un album de citoyen, encore une fois, qui se pose des questions. Alors « Marée haute » reste proche de nous, c’est qui nous représente politiquement et où on va. Après « Nous y sommes », effectivement, c’est un peu comme si on avait pris du recul en se posant des questions sur l’humanité, on est vraiment pas sur quelque chose de sociétal. On a entendu tous à l’école, les dinosaures, au bout d’un moment, ont tous disparus ; nous, est-ce qu’on est ce qu’on est pas en train de prendre une claque et dans pas longtemps, on va tous disparaître.

On est une génération qui a acheté des vinyles, qui a acheté des albums et on sait que, quand on fait un album, on réfléchit à la première chanson, à la deuxième. Quand c’est un vinyle, quelle chanson finit la première et laquelle commence la deuxième. « Nous y sommes » nous est apparu assez évident en première chanson et « Peshmerga » assez évident en dernier. Les chansons quand elles prennent du caractère, elles choisissent d’elle-mêmes où elles vont être sur l’album. En live, c’est pareil. Les chansons, une fois qu’on a fini, c’est comme quand on fait des enfants, on peut rêver qu’ils soient avocats, s’ils ont envie d’être tourneurs-fraiseur, ils le feront. Nos chansons sont maîtresses de leur destin.

On est très conscient de la chance qu’on a d’être nés dans une région qui est fière et qui fait énormément de choses d’un point de vue culturel

Matmatah qui fait l’apologie

P : Les Fatals Picards vous ont cités sur leur dernier album et dans cette chanson, ils disent qu’il y a toujours un con dans les festivals avec un drapeau breton. Est-ce que vous faisiez partie de ces gens-là ?

M : Non, on ne l’était pas mais on l’a remarqué parce que quand on a joué à Hong Kong ou à Sydney ou en Pologne, il y a toujours un « Gwenn ha du » (nom breton du drapeau de la Bretagne, ndlr) qui vient. Les bretons sont un peuple fier, un peuple voyageur et nous, ça nous fait toujours marrer. On s’y attend, un moment on va voir le Gwen ha du qui va sortir.

P : Ça fait partie du folklore.

M : On est très conscient de la chance qu’on a d’être nés dans une région qui est fière et qui fait énormément de choses d’un point de vue culturel, du point de vue de la musique. Elle laisse la chance à des talents émergents donc on aurait pas pu éclore de la même manière si on était nés dans une autre région. Il y en a d’autres des régions mais en Bretagne, n’importe quel bar a l’habitude d’accueillir des musiciens juste parce qu’ils sont venus dire qu’ils étaient capables d’animer la soirée.

On a eu la chance de faire nos classes dans des rades en Bretagne et à Brest, parce que ça jouait pas mal là-bas. Le Gwenn ha du, s’il y en a pas un jour, je pense qu’on fera un courrier au sous-préfet. (rires)

Crédit photos : Hélène SAVIO