La mode peut aussi toucher le théâtre. En ce moment, ce sont les coulisses à vue qui semblent être à l’honneur. Retour sur plusieurs spectacles qui usent de cette méthode avec plus ou moins de brio. 

Quand on vous dit “théâtre”, vous pensez sûrement scène et coulisses. Deux endroits différents: l’un est le lieu du spectacle, de la magie, de la performance artistique, des personnages; l’autre de la concentration, de la préparation et des comédiens. Mais depuis quelques années, une tendance semble se développer, celle de mélanger les deux univers pour n’en faire plus qu’un. Les metteurs en scène ont de plus en plus le désir de dévoiler l’envers du décor, soulignant ainsi le côté artificiel du théâtre. Peut-on y voir l’envie de rappeler au spectateur qu’il est au théâtre, en insistant sur l’humanité d’un art de plus en plus taxé d’élitiste ? Nous en avons été tentés, avouons-le.

Déjà en 2016, Ivo Van Hove venait à Avignon avec cette idée, dans sa pièce Les damnés, interprétée par la troupe de la Comédie Française dans la prestigieuse cour d’honneur du Palais des papes. Les comédiens s’étaient alors maquillés et habillés sur le bord du plateau devant des glaces illuminées, de véritables coulisses de plein air. Ce ne fut évidemment pas le premier spectacle avec cette envie de dévoiler ce qui est normalement invisible, mais il n’empêche que cette idée  a fait couler beaucoup d’encre.

Cette année encore, l’idée a séduit bon nombre de metteurs en scène. Nous vous avons déjà parlé de Débrayage, de Rémi De Vos, mis en scène par Nicolas Pichot  (si si, on vous assure ! Vous n’avez pas lu l’article? Il est ici !). Ici, il voulait montrer au public le travail effectué en deçà du spectacle, et ordinairement caché. Les comédiens prennent certes du plaisir à jouer, à devenir des personnages, mais ils sont aussi en train d’exercer leur métier. Nous pouvons voir la régisseuse lancer les lumières, faire descendre les pendrillons etc… Le public prend alors conscience de toute l’ampleur de la concentration nécessaire au bon déroulement de la représentation. Et non, les comédiens ne sont pas des saltimbanques bons à rien, comme aimeraient le croire certains de nos politiciens !

 

Palais des papes à Avignon

Le lendemain, nous avons eu le plaisir d’assister à Circé, mis en scène par les jeunes comédiens de la Compagnie “Désordres”. Le principe est simple : les acteurs tirent au sort leur rôle à chaque début de spectacle. En entrant dans la salle, ils se trouvent sur la scène, mais ils ne jouent pas, ils attendent patiemment le tirage au sort. Puis, les rôles distribués, ils s’habillent devant nous, font des blagues (“je commence à être saoulée, ça fait trois soirs que je fais le Marin 3 !”), mettent en place la scène comme pour une répétition. Le spectacle peut commencer. Une manière de casser ce fameux quatrième mur, de faire du théâtre un moment de partage et de découverte, non seulement de l’histoire, mais aussi de la profession d’acteur. Les coulisses à nu, voyez-vous, c’est un peu comme les portes ouvertes du collège : tout le monde sait ce qu’il s’y passe, mais il y a tant à découvrir !

Dernier exemple, Looking for Lulu mis en scène par Natascha Rudolf.  Ici, l’idée de coulisses à vue nous semble mal utilisée, car les acteurs se changent finalement… derrière le rideau au lointain !  Nous aurions pu nous attendre à beaucoup de transparence : les comédiens nous attendent sur le plateau dès l’entrée. Jouent-ils ? Sont-ils des personnages? Ou nous attendent-ils réellement pour commencer? Cette idée pose beaucoup de questions intéressantes, mais n’a pas l’air d’être assumée jusqu’au bout. Dommage, cela donne une impression de malhonnêteté désagréable… Heureusement, la déception est loin d’être totale, et l’énergie dégagée par les comédiens n’était probablement semblable à nulle autre. L’ambiance à la fois glauque et viciée de l’histoire de Loulou (celle de Pabst, celle-là même !) emplit tout à la fois la salle et le coeur du public, nous faisant sortir de la salle un peu sonnés et estomaqués par ce que nous venions d’y voir.

Nous pouvons observer qu’une nouvelle forme de théâtre est peut-être en train d’émerger, en laissant de côté ce côté sérieux et classique du spectacle. La compréhension du plateau devient enfin accessible à toutes et à tous, quand l’utilisation de cette transparence est pertinente ! Mais n’oubliez pas de vous faire votre propre idée en vous déplaçant et en allant voir les spectacles.
Bises avignonnaises !

Circé
du 7 au 30 juillet à 19h35
Théâtre des 2 galeries

Looking for Lulu
du 7 au 30 juillet à 12h30
Espace roseau

Alice Schemid et Alexandre Bron