Avant même sa sortie en salles et avant même qu’il ne soit vu par qui que ce soit, Chez Nous fut déjà source de polémique et d’une levée de boucliers de la part des militants et élus d’extrême droite. De Gilbert Collard à Florian Philippot, nous avons pu assister à un défilement de représentants frontistes qui n’avaient à la bouche que la haine qu’ils ressentaient pour le film. Seule la bande-annonce était sortie et il fut sujet à de nombreuses critiques pour ses propos et le « message passé ».
Alors, Chez Nous est-il aussi contestataire qu’annoncé et mérite-t-il réellement d’être décrié sur tous les plateaux télé ?

Synopsis : Pauline, infirmière à domicile, entre Lens et Lille, s’occupe seule de ses deux enfants et de son père ancien métallurgiste. Dévouée et généreuse, tous ses patients l’aiment et comptent sur elle.
Profitant de sa popularité, les dirigeants d’un parti extrémiste vont lui proposer d’être leur candidate aux prochaines municipales.

Au programme du nouveau film de Belvaux, casting 4 étoiles, endoctrinement et milieu populaire. Comme à son habitude, et comme il aime le faire, Lucas Belvaux vient poser sa caméra dans le nord de la France, dont il se sent plus proche, en raison de ses origines belges. Pas son genre, son dernier long-métrage, fut tourné dans son intégralité à Arras.
Nous ne sommes pas sans savoir que cette année 2017 rime avec année d’élection présidentielle française. Ainsi, le réalisateur prend de gros risques en abordant ce thème parfois tabou mais néanmoins d’actualité qu’est le populisme, ainsi que l’attrait des extrêmes de la part de personnes qui se cherchent politiquement. D’autant plus qu’en situant son action en Picardie, le réalisateur ne peut que jouer avec les références à Henin-Beaumont, fief frontiste.
Comme une suite directe du personnage de Pas son genre, Emilie Dequenne, actrice fétiche du réalisateur ainsi que des frères Dardenne, flamboie une nouvelle fois, même si sa force de jeu est amoindrie par celle de ses collègues de jeu que sont les immenses Catherine Jacob, André Dussolier, que l’on ne présente plus, ou Patrick Descamps. Ce dernier, acteur récurrent des films de Belvaux, ne cesse de nous impressionner, bien que son rôle ne soit que secondaire. Avec André Dussolier, les deux hommes dégagent un charisme fou, dans lequel vient se fondre une personnalité complexe, parfois ambiguë. Difficile de cerner les intentions de chacun, entre désir de réussite et beaux discours.

La belle surprise vient également du côté de Guillaume Gouix, acteur montant du cinéma français récemment aperçu dans Braqueurs (mai 2016) ou encore Enragés (septembre 2015). Ancien néo-nazi prêt à re-sombrer à tout moment dans la haine et la violence, Stéphane (son personnage) incarne tout ce que l’on déteste, nous faisant hésiter entre once de compassion et dégoût absolu. Son cynisme, mêlé à des sentiments radicaux enfouis au plus profond de lui nous font osciller à son égard. Si l’on devait comparer son personnage à un autre, il nous vient directement à l’esprit Un Français, de Diastème, dans lequel Alban Lenoir incarnait un skinhead en pleine rédemption.
S’offre donc à nous une pléiade d’acteurs incarnant des personnages tous bien distincts et ancrés dans des réalités qui leur sont propres, avec des passés plus ou moins douteux pour certains. Le principe de ne pas connaitre le passé de chacun, afin de laisser régner des parts d’ombre, est à la fois intéressant mais également glaçant. Mais même s’il s’avère excellent, ce n’est pas pour son casting que l’on s’intéresse à Chez Nous, mais bien pour ses propos et pour les sujets soulevés.

Contrairement à ce que tout le monde laisse sous entendre, Chez Nous n’est pas un film à proprement parlé sur le Front National. Certes, des personnages comme celui de Catherine Jacob font directement penser à Marine Le Pen (voir photo), ou bien les noms de partis ainsi que les logos sont des miroirs déformants de la réalité, mais le long-métrage est à appréhender comme un film bien plus complexe, comme un film sur les extrêmes dans leur entité, ainsi que sur les endoctrinements. La notion d’extrême droite pourrait aisément être remplacée par le djihadisme, objet tout autant d’actualité.
Par son point de vue, Lucas Belvaux ne peut pas être objectif comme il se défend de l’être, mais il parvient tout de même à garder un certain recul sur les sujets filmés, sans pousser les traits ou faire de ses personnages des caricatures, à l’exception de celui d’Anne Marivin, trop poussé à l’extrême (dans tous les sens du terme). Le propos n’est en rien manichéen et ne vise pas à diaboliser qui que ce soit. Les mauvaises langues diront que Chez Nous advient comme une critique des propos/idées du Front National, mais ce n’est en rien cela. Se résumer à de tels propos prouve une vision bien superficielle du long-métrage, pleine de pensées arrêtées prescrites par différents médias. Le long-métrage de Belvaux s’intéresse au déclin, et non pas au sort final. On cherche à comprendre les raisons, à balayer la poussière, à savoir ce qui pousse certaines personnes, apolitiques de base, à virer dans les extrêmes. Des stratégies de communication aux choix des représentants mûrement réfléchis afin de correspondre un maximum aux attentes des citoyens, c’est tout une système bien spécifique qui nous est dépeint. Et de cela se dégage toute la puissance de Chez Nous.
Lire dans certaines critiques que le nouveau né de Lucas Belvaux fait le jeu du Front National est une aberration absolue. Il faut savoir être honnête en avouant que le film ne lui fait pas bonne presse, mais les spectateurs sauront prendre du recul sur ce qu’ils sont en train de voir. Au mieux, le film confortera les électeurs frontistes dans leurs positions. Comme l’a dit Belvaux à plusieurs reprises, « Les élus Frontistes de notre société sont plus caricaturaux que mes personnages. » Chacun tirera les leçons qu’il souhaite du film. Mais qui peut prétendre faire du cinéma, qui plus est politique, sans prendre position ?

Que l’on soit contestataire ou bienveillant par rapport à ce film, Chez Nous est à voir pour s’en faire un avis bien tranché, au détriment de ce qu’ont pu dire les politiciens sur les plateaux de télévision, et quoi qu’ils en soit, les distributeurs du film ont parfaitement su s’adapter à leurs détracteurs.

Retrouvez la bande-annonce de Chez Nous, réalisé par Lucas Belvaux, en salles le 22 février.