Le jeune artiste Tim Dup publie ce vendredi son nouvel album, Les immortelles, qu’il a composé dans le sous-sol d’une ancienne menuiserie. Après deux albums publiés en période de crise sanitaire, le compositeur publie un nouveau disque sensible où il délivre ses confidences mais aussi ses désillusions. Une sortie accompagnée d’une série de fêtes pour retrouver son public dans l’intimité. Rencontre à Roubaix, au sein de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse.

Comment ça va ?

D’un point de vue kiff, tout va bien. J’avais oublié que les concerts, c’est du sport et qu’il faut une certaine endurance. J’aime organiser ces moments, durant lesquels tu sens que tu n’es pas dans le cadre d’une tournée, avec des soirées exclusives, dans un souci de simplicité, en présentant des morceaux jamais sortis. Je suis content de revenir à quelque chose de très spontané. Mais c’est très apeurant, en même temps. Le public va découvrir les chansons sur scène, et ça me plaît.

Disque après disque, cet exercice est de plus en plus complexe. Il faut se motiver et se dire : « Putain faut y aller ! » Cette époque bouge vachement. Les gens ne consomment plus la musique de la même manière. Le fait que des festivals comme We Loft Festival soient organisés me fait plaisir, avec le public qui retrouve le goût de venir voir des artistes en concert.

Tu es à Roubaix pour un concert, suivi d’une release party. D’où t’es venue cette idée de concert « release party » ?

Je suis parti cet automne pour écrire un autre projet. Lors de la sortie des deux premiers singles, je n’étais pas sur les réseaux sociaux et il y avait quelque chose de démoralisant. J’ai seulement fait mes posts, je galérais à utiliser Instagram. Cependant, je ne voulais pas perdre ce moment en sortant un morceau sans en profiter. Il n’était pas envisageable que ce ne soit pas festif. Il fallait absolument faire des soirées de fête pour la sortie de cet album. Dès qu’on m’a proposé de jouer à l’ENPJJ (École nationale de protection judiciaire de la jeunesse), j’ai accepté, mais j’ai souhaité en faire une soirée spéciale, avec un concert et un after. Un lâcher prise pareil n’est pas envisageable dans le cadre d’une tournée classique.

Finalement, les gens qui viennent en concert sont plus curieux d’écouter le disque après.

Tim Dup, en concert à l’ENPJJ (École nationale de protection judiciaire de la jeunesse), à Roubaix dans le cadre du We Loft Festival

Comment appréhendes-tu ce concert dans un lieu comme l’École Nationale de Protection Judiciaire de la Jeunesse ? Tes derniers concerts dans la région étaient au Grand Mix à Tourcoing et à Tournai, avec des configurations de salle différentes de celle d’aujourd’hui : un amphithéâtre.

Le fait que rien ne soit jamais pareil, c’est super. Aucune salle ne sonne de la même façon, avec un public parfois assis, parfois debout. Je n’ai jamais l’impression de m’emmerder en tournée. Je n’ai pas l’ambition de faire des tournées de Zéniths. Dans ce sens, je veux dire qu’être devant une foule dans laquelle tu ne captes pas les individualités des personnes présentes, ça ne m’intéresse pas vraiment. Jouer dans un Zénith, c’est gérer un grand monstre heureux, ou malheureux. Enchaîner les Zéniths, c’est jouer dans la même salle tous les soirs. Avec les salles dans lesquelles je joue, c’est moi qui suis obligé de m’adapter.

« Il y a quelque chose de contemporain dans l’idée d’aller inscrire la musique dans des lieux qui ne sont pas faits pour.« 

Tim Dup

J’ai toujours aimé l’idée d’aller inscrire la musique ou l’art dans des lieux qui ne sont pas faits pour. Il y a quelque chose de contemporain dans cette démarche, qui fait vivre le patrimoine local. Les spectateurs (re)découvrent des lieux près de chez eux. Auparavant, j’ai aussi joué dans des hôpitaux. Je vais donc inscrire la musique dans des lieux qui ne sont pas faits pour la recevoir, dans lesquels je vais vers des publics qui initialement ne la reçoivent pas.

Cette idée de jouer dans des lieux qui ne sont initialement pas destinés à la musique te trottait dans la tête depuis longtemps ?

Le public attend des formules inédites, un peu exceptionnelles. Ces formats permettent de faire revenir les gens et de leur faire redécouvrir leur ville, tout en découvrant de nouveaux artistes. L’idée de jouer dans des lieux qui comptent pour moi était importante. J’ai joué dans le restaurant dans lequel j’ai commencé à faire du piano-bar. Jouer dans des lieux pareils, ce n’est pas simplement jouer, c’est raconter une histoire.

Tu as été assez productif ces derniers temps. Ton nouvel album, Les Immortelles, sort le 4 février, et ton dernier album, La Course Folle, est sorti le 11 juin 2021.

Le temps passe assez vite. Sortir un album est un travail de longue haleine. Que ce soit sa réalisation en amont, sa sortie, et la tournée qui suit. Aujourd’hui, les tournées sont d’ailleurs de plus en plus longues, car elles représentent une vraie économie pour les artistes. Les tournées permettent de valider notre statut d’intermittence et c’est une manière de faire vivre nos disques. Il existe des artistes qui peuvent se permettre de faire des concerts, mais moi, j’ai besoin d’être au contact d’un public.

« La crise sanitaire a été un vrai tournant dans ma carrière musicale.« 

Tim Dup

Je reconnais que j’ai été productif. Ce n’est pas par calcul, je ne me force pas à créer. Les mois, voire les années imprévisibles que nous avons connues ont rebattu les cartes. Mon deuxième disque, Qu’en restera-t-il, est sorti en janvier 2020, juste avant le Covid. La tournée de 70 dates a été annulée. Seul un concert a eu lieu. Initialement, je concevais de sortir ce disque, de faire une longue sortie, puis de faire une pause. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu en pleine pandémie, avec un disque qui ne vit pas. La crise sanitaire a toutefois été un vrai tournant dans ma carrière musicale. De nombreuses dates de ma tournée étaient complètes, avec des Olympia prévus : il y avait un engouement. Une fois le gros de la pandémie passé, plus personne n’allait en concert. Il a fallu se réadapter et redonner envie aux spectateurs de revenir. J’ai fait des concerts devant 40 personnes dans des salles de 500. C’est une leçon d’humilité. Finalement, La Course Folle est arrivée beaucoup plus rapidement que prévu. Désormais, on apprend à vivre dans une époque moins prévisible.

Tu vis beaucoup de choses différentes, que ce soit un concert en visio pendant le confinement, ou des concerts devant un public qui ne connaît pas tes nouvelles chansons…

J’ai fait ce concert en visio le jour où devait avoir lieu le concert à La Cigale. Le son était horrible, avec une connexion Wi-Fi de l’enfer. Je suis content d’être sorti de cette période, car je ne fais pas de la musique pour ça. Essayer de se reconnecter à son public de cette manière, c’est marrant un temps, mais la portée n’est pas la même.

Dans Les Immortelles, le ton est plus personnel, plus posé, avec ce côté artisan de la musique qui permet au public de te découvrir davantage.

C’est compliqué de démêler ce qui est de l’ordre de l’intention véritable et ce qui est de l’ordre du lâcher-prise et de l’inconscient. Quand j’écris les premières chansons de l’album, je ne conceptualise rien et je ne me dis pas qu’il faut que je mette plus à nu.

« Ce disque est plus serein, mais empreint de désillusions […] J’ai profondément aimé ce côté artisanal dans le sous-sol d’une ancienne menuiserie. »

Tim Dup

Chanson après chanson, j’ai remarqué que je me suis plus livré. Ce disque est plus serein, mais empreint de désillusions. Les Immortelles fait bien la synthèse de mes trois précédents disques. Je suis arrivé à un point d’écriture dans lequel je me sens bien. Je suis parvenu à me mettre à nu et à parler plus intérieurement. En huit ans, certaines personnes de mon public m’ont vu grandir, ont vu l’éclosion d’un artiste, et d’une personne. J’ai réalisé ce disque seul. J’ai profondément aimé ce côté artisanal dans le sous-sol d’une ancienne menuiserie. Je souhaitais façonner un objet de A à Z, et ne pas me limiter à la composition et à l’écriture. Je souhaitais me confronter aux textures sonores et à la réalisation. Être seul sur un projet permet de l’amener à un endroit qui n’aurait pas été le même s’il avait été créé conjointement. Le mix s’est fait à New-York, ce qui m’a permis une compréhension technique du son qui était géniale.

Tu parles de ton nouvel album comme une synthèse des trois précédents, était-ce une volonté pour toi d’arriver à produit musical qui te définisse ? Auparavant, te présenter n’était pas toujours évident.

Je pense que ce nouvel album est plus lisible que les autres d’un point de vue musical, tout en restant hybride. J’écoute beaucoup de musiques, alors il n’y a pas de raison que mon disque soit uniquement du piano, même s’il y a un vrai point d’ancrage du piano-voix. Mon premier disque était hybride, ce qui m’a permis d’aller partout. Il est difficile de se dégager d’un projet très marqué sur un style. Le flou a permis de dégager un chemin musical. Je me suis trouvé sur ce nouveau disque, que ce soit dans la musicalité, dans l’écriture ou dans la pose de la voix. Les influences sont multiples, mais elles sont plus infusées et moins présentes par posture. J’ai mis du hip-hop dans certains morceaux car ça me plaisait. J’aime mettre de la modernité, car j’écoute de la musique actuelle.

En parlant de hip-hop, peux-tu nous parler de ta collaboration avec Eesah Yasuke, qui est originaire de Roubaix ?

Nous nous sommes rencontrés pour faire le morceau. Je l’ai découverte suite à sa victoire des Inouïs du Printemps de Bourges. J’aime beaucoup son travail et j’avais envie de ramener un peu de hip-hop sur le disque, mais avec une rappeuse. Eesah Yasuke a une plume, un charisme et un univers développé. De plus, le thème de la chanson, à savoir les violences faites aux femmes, ne pouvait que se prêter à réaliser cette collaboration. Dans ce morceau, on a joué sur les contrastes. Eesah Yasuke a été la voix de poitrine, là où j’étais la voix de tête.

Tu parlais d’éclosion de l’artiste, penses-tu que le morceau « Club des 27 » en est une démonstration ?

« C’est la première fois que je me confie autant dans un morceau […] il me fallait trois disques pour me donner confiance.« 

Tim Dup

C’est la première fois que je confie autant dans un morceau. Livrer quelque chose de personnel n’est pas simple et j’ai estimé que le morceau avait sa place sur le disque. Il raconte quelque chose de notre époque, avec une portée de l’intime vers l’universel qui dépasse l’artiste. Je ne me suis pas censuré, mais il me fallait trois disques pour me donner confiance dans le fait d’y aller, tout en gardant une certaine retenue.

Comme pour la pochette de l’album…

Je reconnais qu’il y a moins de retenue sur la pochette. Mais il y a tout de même une certaine pudeur. J’adore cette composition de nus, sans obscénité et perversité. Il y a juste de la beauté, du naturel et du primaire, qui fait jaillir un côté animal. Cette pochette est très artistique et très léchée. La sincérité se mêle à la mise en scène, avec le décor magnifique du Frioul.